Polar poisseux et ironique sur fond de crise identitaire pour l’Amérique

Par Borokoff

A propos de Cogan : Killing them softly d’Andrew Dominik

Brad Pitt

Dans une banlieue américaine misérable et sordide, deux jeunes malfrats au service d’un petit mafieux local parviennent à braquer un tripot en emportant une importante somme d’argent. Furieuse, la pègre qui gère ces parties de poker illégales des bas-fonds de Boston fait appel à Jackie Cogan (Brad Pitt), un tueur à gages à l’humour froid et cynique. Cogan est tout simplement chargé de punir les coupables en remettant un peu d’ordre dans les affaires.  Le tout, « sans faire trop de morts si possible »…

L’humour grinçant et la violence. C’est sans doute ce qui caractérise Cogan : Killing them softly, adaptation du polar de l’Américain George V. Higgins (surnommé le « Balzac des bas-fonds de Boston ») intitulé Cogan’s trade (L’art et la manière, 1974).

Cogan : Killing them softly est un polar psychologique qui fait la part belle à de longues confidences des deux tueurs à gages interprétés par Brad Pitt et James Gandolfini (alias Mickey) de la série Les Sopranos. Ce dernier campe somptueusement un tueur à gages alcoolique et sur le déclin, dépressif et en roue libre.

Dans une scène mémorable dans une voiture, un parrain de la pègre un brin frileux (joué par le toujours excellent Richard Jenkins) explique à Cogan qu’il aimerait donner une leçon à Markie Trattman, le tenancier du tripot (Ray Liotta) mais éviter de le tuer. Tout le monde sait que Trattman n’est pas responsable du braquage. Mais Cogan lui répond calmement qu’il déteste « rentrer dans les sentiments », qu’il est venu pour tuer et que de toute façon, tuer ou tabasser Trattman revient au même, donc autant le tuer !

L’humour est souvent morbide chez Cogan et rime avec sa manière de descendre méthodiquement et froidement les gens. Mais la grande particularité de l’adaptation par Andrew Dominik du polar d’Higgins est d’avoir situé l’action de Cogan : Killing them softly dans un contexte contemporain de crise économique et morale majeure pour les États-Unis. Une crise des valeurs qui correspond à la fin du mandat de Bush et à la première élection d’Obama à la présidence des États-Unis. Constamment, en fond sonore, les discours alarmistes des ex et actuel présidents américains sur la situation du pays égrènent le parcours de Cogan. On y parle de récession, de crise financière et mondiale sans précédent, etc…

C’est seulement à la fin que l’on découvre une certaine amertume du personnage de Cogan, dont Dominik fait une sorte de double distancié et pour le moins ironique. L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) avait en effet été un bide commercial retentissant aux États-Unis.

Mais là n’est pas l’essentiel ni le plus marquant. Le plus marquant, c’est d’abord la violence de certaines scènes comme le tabassage en règle de Trattman par deux petites frappes au service des gros caïds. La stylisation de cette scène sur-éclairée, tout en frontalité et en effets de ralentis, avec un travail spécifique sur le son, crée intelligemment (et fort heureusement) une distance par rapport à la violence physique qui s’y déploie.

Ce n’est pas le seul atout dans la mise en scène d’Andrew Dominik. Son principal intérêt réside dans la capacité et le talent du metteur en scène originaire de la Nouvelle-Zélande à rendre l’action déceptive. Déceptive et non décevante. C’est par exemple le cas dans la scène assez longue du braquage du tripot, au début du film. Cette scène est remplie à la fois d’un humour complètement décalé (les braqueurs n’ont trouvé à se mettre sur les mains que des gants pour faire la vaisselle) et d’une tension qui font croire jusqu’au bout (soit une bonne dizaine de minutes) que le braquage va mal tourner. Mais il ne se passe rien. Ou plutôt tout se passe comme prévu pour les braqueurs.

La chute du film est du même acabit. Elle frustre par la dernière réplique de Cogan qui tombe sèchement et brutalement alors que l’on attendait une toute autre fin. C’est sans doute là un jeu et une pointe d’ironie chez Dominik qui veut dire en suspens et en substance qu’il est capable lui aussi de bouder son public. Mais n’y voyez pas là cependant autre chose qu’une libre interprétation de l’auteur de cette critique. Une interprétation qui n’engage que lui.

Car Cogan : Killing them softly est avant tout un très bon polar, tendu, rythmé, servi par un scénario irréprochable et d’excellents seconds rôles (Vincent Curatola, Scoot McNairy et Ben Mendelsohn). A mi-chemin entre Les Affranchis, les films de Tarantino et le dernier Killer Joe de Friedkin…

http://www.youtube.com/watch?v=IaE-AgL9Yko

Film américain d’Andrew Dominik avec Brad Pitt, Richard Jenkins, James Gandolfini (01 h 37)

Scénario d’Andrew Domink d’après le roman de George V. Higgins :

Mise en scène :

Acteurs :

Dialogues : 

Compositions par Johnny Cash, Petula Clark, The Velvet Underground, etc… :