Photographies : Merveilleuses de 1801 et 1803 pour la seconde photographie. Gravures du Journal des dames et des Modes.
Les merveilleuses et en particulier les merveilleux sont appelés de cette manière dès le milieu du dix-huitième siècle, sous Louis XV (roi de France et de Navarre de 1715 à 1774). François-Antoine Chevrier (1721-1762) emploie le terme de ‘merveilleux’ dans Le Colporteur publié en 1762. Celui-ci est moins connu que son acolyte féminine car il est remplacé semble-t-il à la Révolution par l’incroyable. Mais ce nom est encore usité dans la première moitié du XIXe.
Sous le Directoire (1795-1799) et déjà un peu avant la Révolution les merveilleuses s'habillent de transparentes robes à l'antique d’inspiration grecque, à la ceinture haute, avec de grands chapeaux à brides. Les vêtements ne sont plus amples pour les femmes ce qui leur donne des allures élancées. L'accoutrement est moins riche, beaucoup plus simple qu'auparavant. Le corset est abandonné. Elles reflètent une révolution dans la mode française plus importante encore que celle des années folles où la femme se libère de nombreuses contraintes vestimentaires. Les merveilleuses elles aussi abandonnent le corset, les tenues peu pratiques et affichent leur féminité et une certaine provocation. Des exemples nous témoignent de certaines (comme Madame Hamelin en 1795) se promenant sur les Champs-Élysées les bras et la gorge nus (c'est-à-dire les seins nus) comme des statues antiques, avec une seule jupe de gaze sur un pantalon couleur de chair, suscitant de véritables petites émeutes. D’autres portent des tuniques transparentes laissant parfois voir de véritables mini-jupes (voir l'article La valse et le boléro) ; et les décolletés sont si profonds qu’il arrive qu’ils soient sous les tétons. Au XVIIIe siècle, il est possible de voir dans une promenade un sein laissé à l’abandon comme le prouvent des gravures de mode. Le nu antique inspire donc ces jeunes femmes dont certaines se font représenter dans des apparats très épurés. Lorsqu’on regarde les peintures représentant les merveilleuses les plus célèbres, ont est étonné par leur visage aux traits caractérisant chacune, leur chevelure simple et la simplicité de leurs habits. C’est alors l’avant-garde de la mode : le style épuré mais emprunt de toute la noblesse d’une muse grecque. Du reste certaines sont les véritables égéries de la finance et de la politique avant d’être celles de la mode. Avec elles, les jeunes ne sont pas les seuls à suivre cette mode. Il y a aussi les prostituées dont les plus jolies imitent depuis longtemps déjà les petites-maîtresses pour affoler le client. Le Palais Royal en compte de nombreuses qui tiennent boutiques dans les nouvelles galeries construites à la fin du XVIIIe siècle.
La mode des merveilleuses accompagne les femmes de tout le premier Empire, mais reste relativement de courte durée ; après le corset revient ainsi que les grandes robes, dans un style beaucoup moins joli et raffiné qu’au XVIIIe siècle …
A la fin de la Révolution, les fêtes reprennent. D’abord on danse discrètement dans les salons puis dans des bals. On organise des ‘bals des victimes’ ouverts à ceux ayant perdu au moins un de leurs proches à la guillotine. Voir l'article Les oublies. Les bals des victimes généralisent la mode des robes gréco-romaines et des cheveux ‘à la victime’ c'est-à-dire coupés au ras de la nuque à la manière de ceux exposés au couperet (voir l'article Cheveux courts).
P.-F. Tissot (1768-1854), dans Les Français peints par eux-mêmes (tomes édités entre 1840 et 1842), décrit les merveilleuses et incroyables dont la mode couvre le Directoire quand l’auteur a un peu plus de vingt ans. Voici ce passage : « dans une partie de la France, et surtout à Paris, une folle ivresse de plaisirs emporta tout à coup la société. Tous les âges se précipitèrent avec une sorte de fureur dans toutes les jouissances dont on les avait sevrés. C’étaient des festins de Lucullus, c’étaient des bals aussi brillants que ceux de Marie-Antoinette à sa villa du petit Trianon ; c’était une répétition journalière des saturnales de la régence, au moment où la cour se hâta de déposer le rôle d’hypocrisie que lui avaient imposé la tristesse et la dévotion du grand roi. Étrange contradiction du coeur humain ! Les héros de ces fêtes étaient des hommes et des femmes qui pleuraient, disaient-ils, leurs parents immolés à une espèce de divinité inexorable comme la Fatalité des anciens, et pourtant ils dansaient et se réjouissaient au milieu de leurs transports de haine pour la république, et des projets de vengeance qu’ils exécutaient ou méditaient contre les terribles adversaires dont l’aspect les faisait trembler encore. […] les femmes, interrogeant les statues antiques, adoptant le cothurne, la coiffure, la tunique des femmes d’Athènes et de Rome, brillaient de la plus rare élégance sous de légers vêtements qui nous les montraient presque sans voile, comme Aspasie ou Phryné apparaissant aux regards d’un peuple enthousiaste de la beauté, … »
Louis-Sébastien Mercier écrit dans Le Nouveau Paris (1794) : « Les jolies femmes et les déesses du jour continuent à balayer les rues boueuses de la capitale avec leurs robes traînantes et transparentes. […] Pas une petite-maîtresse, pas une grisette qui ne se décore, le dimanche, d’une robe athénienne de linon, et qui n’en ramène sur le bras droit les plis pendants, pour se dessiner à l’antique, ou du moins égaler Vénus aux belles fesses. […] Nous admirons au Bois de Boulogne la beauté fière et majestueuse des Calypso, des Eucharis modernes ; nous nous extasions à la vue de leurs ceintures, de leurs perruques, de leurs robes ouvertes et qui montrent une jambe d’une beauté accomplie ; nous justifions le luxe ou plutôt le faste de leurs parures […] Il faut, le matin, étudier le journal des dames et les échantillons de la mode ; disserter avec un perruquier sur l’efficacité de l’eau de volupté […] les merveilleux [on voit que ce terme est encore employé] se parfument comme les femmes, et, comme elles, ils ont autant de rubans à s’attacher, de rosettes à former. La toilette de leurs coursiers est plus longue encore que la leur. Combien de fois le cheval de cette amazone, a du pied frappé la terre d’impatience, sous les ciseaux de l’appareilleur ! Après ces singularités, il en est d’autres qui ne sont pas moins piquantes : je veux parler des chanteurs de carrefours. Ils se perfectionnent : on s’aperçoit qu’ils fréquentent le concert Feydeau, et se règlent sur les meilleurs modèles. Celui du Port au blé ; surtout, l’Orphée des Limousines, après le soleil couchant, roucoule déjà, dans le genre de Garat, et ses auditeurs enchantés, répètent, à mi-voix, ses délicieuses roucoulades. »
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