Alors que le fragile processus de paix établi entre Israël et l’autorité palestinienne semble menacé et que le gouvernement français renforce son opposition aux projets d’Israël en Cisjordanie, Délits d’Opinion a souhaité recueillir l’avis de Dominique Moïsi, conseiller spécial de l’IFRI, quant à la perception de ce conflit par l’opinion publique française.
Délits d’Opinion : On observe chez les Français une vraie difficulté à se prononcer sur le conflit Israélo-palestinien et plus particulièrement sur le « responsable » de ce conflit. Comment expliquez-vous cette situation ?
Dominique Moïsi : « Il y a selon moi deux évolutions parallèles qui permettent d’expliquer cet état de fait. Tout d’abord on a pu noter la progressive dégradation de l’image d’Israël depuis quelques années et avec elle la montée de critiques sur le rôle que joue le pays dans la région.
Dans le même temps, la dernière décennie a également fait évoluer négativement la perception que le monde occidental a du monde arabe dans son ensemble, et donc de la Palestine en particulier. D’une certaine manière, l’opinion publique française se trouve équilibrée du fait de ces deux mouvements, lesquels renvoient l’idée d’une coresponsabilité dans ce conflit et dans l’instabilité régionale ».
Délits d’Opinion : L’équilibre observé au sein de l’opinion publique française est-elle une exception ?
Dominique Moïsi : « Au niveau européen on retrouve des situations identiques même si des divergences sont observables selon les pays, notamment du fait d’un passé récent différent. Par exemple, en Allemagne on note une bienveillance presque historique à l’égard d’Israël qui est, encore aujourd’hui, perçue positivement. Le sentiment de culpabilité, plusieurs générations après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, est encore vivace dans l’opinion. A l’inverse, au Royaume-Uni, on n’observe pas un sentiment aussi positif à l’égard d’Israël, pour des raisons historiques mais aussi démographique dans la mesure où le pays n’a pas sur son sol, comme la France, des communautés israélienne et palestinienne nombreuses et mobilisées.
En conclusion, on observe un mouvement d’isolement croissant d’Israël avec le sentiment que le pays et ses dirigeants ne font pas tous les efforts nécessaires pour progresser vers une solution pacifique ».
Délits d’Opinion : Les Français semblent craindre une importation du conflit dans l’hexagone. Cette peur est-elle justifiée encore aujourd’hui ?
Dominique Moïsi : « Il y a eu en France des périodes où l’on a pu craindre un embrasement, notamment en 2003 lors de la seconde guerre d’Irak et pendant la seconde Intifada. A cette époque, la mobilisation parfois virulente des deux communautés sur notre sol a pu faire craindre un début de conflit.
Face à ces menaces, le pays n’a cependant pas basculé et le sentiment de responsabilité a prédominé. L’Etat s’était d’ailleurs très fortement mobilisé afin de diminuer ces risques. Cependant, malgré une situation désormais plus calme, la France demeure un pays particulièrement sensible dans la mesure où il regroupe sur son territoire les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe ».
Délits d’Opinion : Trois quart des Français souhaitent que les Palestiniens puissent avoir un Etat. Assiste-t-on à un rééquilibrage ou est-ce un mouvement de fond en faveur de leur cause ?
Dominique Moïsi : « C’est vraisemblablement un mélange de ces deux facteurs dans la mesure où ces interprétations ne sont pas contradictoires. Si rééquilibrage il y a, on note qu’il se fait sur la longue durée. L’opinion française juge que le peuple palestinien a droit à un Etat, que sa demande est légitime et surtout que cette évolution est un facteur indispensable à une plus grande stabilité dans la région. Cette tendance est forte et s’inscrit dans le long terme, en France et ailleurs en Europe ».
Délits d’Opinion Comment le durcissement de la position israélienne peut-il influer sur l’état de l’opinion en France ?
Dominique Moïsi : « Il apparait clairement que les opinions publiques européennes, et c’est particulièrement vrai en France, soutiennent la ligne prônée par leur gouvernement. Les critiques faites par le ministre des affaires étrangères sur l’évolution récente de la politique israélienne va tout à fait dans le sens de l’opinion qui témoigne, comme je l’ai indiqué, d’une perception de plus en plus négative à l’égard d’Israël.
Pour les Français, les récents événements sont jugés comme le franchissement d’une limite par Israël ce qui permet d’expliquer le soutien dont peut jouir la diplomatie française sur cette question ».