Edward Hopper: Une attente qui semble sans espérance
Il semble que dès l'enfance nous apprenons à vivre dans l'attente d'un avenir : « plus tard ... », « quand tu auras une « situation » .. ! » …
Un jour, tu constates que … Le temps devient ton pire ennemi, et le monde te semble épais, lourd... en tous les cas : étrange. Il y a la chair, et la beauté ; et tu ne sais pas s'ils vont bien ensemble … Un paradis perdu ? Ou une illusion ?
Le monde nous échappe, puisqu’il reste identique à lui-même...
L'habitude nous trompe de sa fausse éternité.
Alors, bien sûr, je pense au Jésus des Evangiles, à l'Amour qui n'est pas reçu ...
Je pense, cependant, qu'en ce temps de crise, et de questionnement; est malvenue - une "insolente confiance"...
de Jérôme Delépine: - Don Quichotte-en-campagne--2009
Et, il y a ce passage de Cioran, et au travers de lui une réaction de beaucoup parmi nous :
" La vérité ne rêve jamais ", a dit un philosophe oriental. C’est pourquoi elle ne nous intéresse pas. Que ferions-nous de sa minable réalité ? Elle n’existe que dans des cervelles de professeurs, dans des préjugés scolaires, dans la vulgarité de tous les enseignements.
Mais dans l’esprit auquel l’infini donne des ailes, le rêve est plus réel que toutes les vérités. Le monde n’est pas ; il se crée chaque fois que le frisson d’un commencement tisonne la braise de notre âme. le Moi est un promontoire sur le rien, où il rêve d’un spectacle de réalité. Le courage me lance entre un être et un non-être, et je vogue entre des mondes qui sont et ne sont pas. Tant que je suis lâche, tout existe ; mais en armure de chevalier de l’esprit, j’aplatis les sillons du naturel et j’écrase les graines de l’illusion. » Cioran, Bréviaire des vaincus.
Ma réponse, à ce niveau d'état de conscience, je ne la vois que par le poète ... Car enfin, il n'est pas vrai que la Vérité ne rêve jamais: elle traque l'illusion ( que préfère Cioran ..! ) mais pas le rêve... Nous ne pouvons percevoir qu'un " réel voilé ": le scientifique lui-même en est conscient. La Vérité ne peut se figer dans des cerveaux de doctes théologiens, elle ne s'enferme pas dans les préjugés ( les plus religieux soient-ils ...!), elle n' a pas la vulgarité des catéchismes ...
Enfin, Perceval ( celui là même de la Quête du Graal ) est l'opposé même du "chevalier de l'esprit", même s'il combat ses propres illusions, et s'il fait souvent accueil à ce que nous pensons n'être qu'illusions ...!
« Dieu siège dans la tourmente en même temps que dans un paisible lendemain de déluge. » Jean Grosjean ( lecture de l'Apocalypse )
C'est précisément là, au coeur de la crise, dans nos tourments, que le poète y voit aussi une retenue - ou une timidité des éléments - qui suggère un dévoilement possible imminent, mais qui surtout convie à l'attente, sinon à l'espérance...
« lenteur du jour, mufle des bœufs. Rien encore, rien de décisif. Le vent hésite en haut des trembles, mais chaque ombre est prête à tourner. » J.G. ( Volubilis )
"La lumière se tient en suspens, blême d'incertitude sur le seuil de cette nuit montante dont clignent à l'est les constellations timides comme des apprentis prophètes. » J.G. ( Les Grillons.)
« Le ciel lui-même a l'air de s'égarer au fond des nues et nous au fond du pré. » ( Nouveaux automnes )
« Une idée d'orage hésite
au bord du ciel clair.
Le matin s'arrête en route
il a oublié sa faux.
Le chemin s'arrête, il doute. »
Jean Grosjean. ( Aube. )
Quand la beauté s'absente, ce n'est pas la laideur qui prend sa place, mais son absence: ce qui reste de la beauté lorsqu'elle s'est retirée, ou la trace de Dieu, après que la foudre se soit abattu sur notre âme...
- Les tableaux sont de Bernard Fichera -
Poète, traducteur de la Bible, Jean Grosjean est né le 21 décembre 1912 et a travaillé comme ouvrier avant de reprendre ses études secondaires, notamment latin et grec et d'entrer au séminaire. En effet dès 1920, il découvre la Bible qui restera tout au long de sa vie un pôle très important, Bible qu'il traduira et qui sera une source d'inspiration majeure pour son œuvre poétique. Il est ordonné prêtre en 1939, mobilisé. Il est fait prisonnier et rencontre André Malraux au camp de Sens. En 1950, il quitte la prêtrise et se marie. Il est mort le lundi 10 avril 2006.