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Royal Affair

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Royal Affair

Mads Mikkelsen est au sommet du buzz actuellement. Pourtant, le dernier film dont il est en tête d’affiche, Royal Affair, n’était pas prévu pour faire énormément parler de lui même si une récompense au Festival de Berlin 2012 est tombée comme meilleur acteur pour Mikkel Boe Folsgaard.

Autant le dire tout de suite, Royal Affair est un film qui se place dans le haut du panier cinématographique. Le drame d’époque et costumé n’est pourtant pas d’une forme resplendissante. Mais même si les métrages du genre se comptent sur les doigts de la main depuis pas mal de temps, ils sont généralement empreints de qualités artistiques indéniables. Royal Affair ne déroge pas à la règle. Si le scénario est somme toute classique avec ce triangle amoureux au sommet hiérarchique du royaume du Danemark, le projet va surtout se concentrer sur une forme éblouissante toujours respectueuse du récit. Alors que le spectateur est en droit d’attendre une dimension lyrique et un souffle épique, rien de tout cela n’arrive dans le film qui préfère rester au niveau de l’humain. Ainsi, les systèmes de représentation qui appuient ces aspects (mouvements de caméra amples, musique hyper symphonique, charge du cadre par les décors et les costumes) sont relativement absents au profit d’une certaine discrétion formelle. Tout juste a-t-on le droit d’entendre une bande originale adéquate au genre ou un léger mouvement de caméra significatif. A titre d’exemple emblématique, il faut bien se rendre compte que le château royal n’est jamais correctement géométrisé. Nous passons d’une pièce à une autre sans liant, les « bas-fonds » étant sur une même lignée que les pièces officielles. Il faut sûrement voir dans ce refus géographique une espèce de parcours mental de personnages. Rien n’est réfléchi, rien n’est logique, rien n’est construit chez cette population et c’est le cœur qui parle en premier. Cette thématique va être, de plus, rendue magnifiquement par un jeu malin sur les flous artistiques, par une utilisation du plan assez serré et par une photographie soignée et brumeuse faisant la part belle aux teintes de gris. Le spectateur, tout comme le protagoniste, ne peut s’échapper des turpitudes des attitudes et des sentiments qui enferment chacun dans son propre statut. Le seul recours se fera par le regard. Par ce jeu, les protagonistes vont pouvoir livrer leurs émotions les plus diverses. Parallèlement, les plans moins resserrés permettent surtout une liaison avec les décors. Ces derniers prennent alors fonction de symbole et donnent au spectateur une aide à la compréhension des états d’âme des personnages. Ce système est, certes, utilisé avec parcimonie et n’offre pas toujours des ouvertures discursives intéressantes mais il a, au moins, le mérite d’exister et peut permettre également de se rendre compte de la très qualité qui a été donnée à la direction artistique pour que chacun puisse entrer dans l’Histoire avec aisance. Bien entendu, comparativement au cahier des charges des autres grandes productions en costume, le dispositif de représentation du métrage peut suggérer un manque d’ambition voire un académisme par forcément excitant. Néanmoins, il faut davantage y voir une réelle conscience cinématographique en corrélation avec ses moyens. Le film est honnête envers lui-même et le spectateur ne peut que s’en féliciter. Surtout, ce dispositif à contre-courant est en fait une bonne chose car certaines attentes stéréotypées peuvent être évacuées.

Royal Affair est présenté comme un drame historique. Si l’Histoire est présente tant le spectateur en apprend sur le Danemark et sur l’évolution de son système politique, c’est bien le côté dramatique qui est au cœur du projet. La forme nous le rappelle à chaque instant, certes, mais surtout le scénario. Les réformes tant sociales qu’économiques ou politiques sont bien présentes mais elles ne sont finalement jamais réellement discutées. D’ailleurs, on ne voit jamais leurs conséquences sur la population quand ce n’est pas leur mise en réflexion qui s’échappe du script. Tout juste a-t-on le droit à un cadre sur un paysan battu à mort pour signifier la volonté de fin du servage ou un gros plan sur une affiche que l’on placarde sur un mur pour montrer l’abolition de la censure, pour ne citer que deux exemples flagrants. L’important n’est pas ici, même s’il faudra y revenir. Le cinéaste préfère se concentrer sur le déchirement du sentiment amoureux. Le postulat est des plus clairs. Une jeune Anglaise mariée au Roi du Danemark pour une histoire banale d’alliance entre les deux pays tombe amoureuse du docteur royal, officieux puis officiel numéro deux de la Couronne, bien plus brillant que son dégénéré de souverain. Rien de nouveau, nous l’avons dit. Heureusement, ces trois personnages sont campés par une troupe de comédiens au meilleur de leurs formes. Et c’est Alicia Vikander qui reçoit les félicitations et se pose, par la même occasion, comme une actrice au futur brillant. Sa voix d’une sensualité magnétique et son regard à la fois irrémédiablement perdu quant à sa situation et terriblement accueillant pour son amour emportent l’adhésion pour un personnage certes classique mais diablement efficace. Ses deux acolytes masculins ne sont pas en reste. Si Mads Mikkelsen livre une prestation sans surprise, et donc bonne quand on connaît les qualités du comédien, c’est surtout Mikkel Boe Folsgaard qui impressionne. Son rôle n’est pourtant pas évident tant il navigue entre le cas désespéré de prime abord et l’humanité sous-jacente. L’acteur aurait pu en faire des tonnes dans un jeu tout en cabotinage mais il a la bonne idée de mixer les ambiances d’interprétations. Le spectateur peut, de cette manière, comprendre toute la complexité de la personnalité du Roi du Danemark et même accueillir une certaine empathie envers lui. Il est le protagoniste le plus profond du métrage. Surtout, il n’arrive pas à tomber en désuétude face au couple d’amoureux maudits qui provoque une proximité avec plus de facilité. Tous les trois permettent à Royal Affair d’être incroyablement émouvant tout en refusant tout jugement catégorique. Cette résistance au manichéisme sentimental est une bonne chose. Il permet de tenir en haleine le spectateur et de ne pas délaisser ses personnages sur l’autel du conformisme amoureux. Là aussi, le métrage fait preuve de conscience, d’honnêteté et de respect et ce ne sont pas les quelques passages un peu longuets au trois quart du film – normal, il faut quand même arriver à tenir le rythme sur deux heures quinze, chose pas toujours évidente – qui vont nous empêcher d’être ému. Rien que la scène du bal, parfait nœud scénaristique, auréolée d’une tension palpable et d’un découpage significatif suscitera le respect et fera oublier toutes les erreurs de Royal Affair.

Le film, s’il tire sa richesse de sa conception romantique, peut également être vu selon un angle d’attaque contemporain par sa dimension historique qui peut interpeller. Cette grille de lecture peut paraître tirée par les cheveux tant c’est le sentiment qui prédomine dans le métrage mais il ne faut pas, non plus, passer à côté de données qui, sans être en première ligne, interrogent le spectateur. Il faut voir cette société danoise qui essaie tant bien que mal de se libérer des carcans d’un système politique qui a fait son temps. Les querelles de famille, le poids de la religion, l’attentisme des puissants et le refus de partager l’autorité sont au cœur de la royauté et n’arrivent pas à dépasser leurs propres conditions. Le pays n’intéresse plus les dirigeants et seules les destinées personnelles apparaissent d’une importance capitale dans la vie de la cité. Le pouvoir pour le pouvoir, tel est l’adage qui ressort des conseils, des discussions et des prises de position. C’en est trop pour certains protagonistes modernistes, dont le médecin et la Reine en tête de gondole, qui n’en peuvent, tout simplement, plus d’une telle situation individualiste. Il est temps que les Lumières, et leurs bases philosophiques humanistes, prennent le relais pour que la communauté dans son ensemble puisse s’élever. Un peu de recul et une vision globale ne seraient pas de trop pour que le Danemark puisse avancer correctement et pour qu’il suive la marche européenne en route sous peine de se trouver isolé. En convoquant Voltaire, Rousseau et autre Diderot, le métrage rappelle les bases de la construction continentale moderne, salvatrice et à ne pas oublier de nos jours. A cette occasion, le passé nous apprend toujours des choses sur le présent. Royal Affair nous dit, finalement, que nos sociétés ne doivent pas tomber dans une guerre des chefs, une tragédie clanique, un affrontement de coqs de basse-cour sous peine d’immobilisme peureux, au mieux, ou de pure sclérose mortuaire, au pire. Le monde vaut mieux que cela, et surtout le peuple. Celui-ci doit rester au cœur du processus d’une société et les dirigeants doivent être à leur service et non l’inverse. Une petite piqûre de rappel ne fait jamais de mal. (Voilà pour les stéréotypes de discours, ce n’est pas très cinématographique mais ça fait quand même du bien de l’écrire.)

Sous son apparence classique, Royal Affair n’en distille pas moins de belles images de cinéma. Surtout, par son formidable souffle romantique, le métrage permet d’être embarqué dans les méandres du sentiment humain pour un voyage pas loin d’être bouleversant. L’une des surprises cinématographiques de l’année.


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