La Belle-est-venue est aussi la plus jolie des reines de l’humanité. L’Allemagne fête le centenaire de l’épouse du
pharaon Akhenaton, Nofretete pour les Allemands.
Une expo dédiée à ce centenaire
Le buste est visible au Neues Museum de Berlin, qui a rouvert
ses portes le 17 octobre 2009 dans la collection permanente. Le but de ce musée était de réunifier toutes
les collections égyptiennes des deux Allemagne, une fois ce musée restauré à cause de sa destruction en 1945.
Mais le buste sera aussi la pièce maîtresse d’une exposition temporaire ("Dans les lumières d’Amarna") spécialement conçue à l’occasion de ce centenaire qui se tiendra du 7
décembre 2012 au 13 avril 2013 (dans le même musée berlinois) et où seront exposés près de six cents objets relatifs à Néfertiti et à cette période amarnienne : « L’exposition va montrer des objets jamais présentés auparavant des collections du Musée de Berlin, complétés par des prêts d’autres musées étrangers,
notamment le Metropolitan Museum of Art de New York, le Louvre à Paris et le British Museum de Londres. » explique le communiqué du musée (fin août 2012).
Le régime du disque solaire
Amarna, c’est le site archéologique de la ville d’Akhetaton, capitale construite ex nihilo (en trois ans) par
le pharaon Akhenaton pour ne plus vivre à Thèbes (Louxor). La nouvelle capitale, située à trois cents
kilomètres au nord de Thèbes, en aval du Nil, fut habitée à partir de 1343 av. JC. Thèbes était la capitale dédiée au culte d’Amon qu’il fallait fuir pour crédibiliser la nouvelle religion.
Probablement pour s’opposer aux conservatismes du clergé thébain, Akhenaton est devenu un souverain
révolutionnaire puisqu’il est considéré comme le fondateur de la première religion monothéiste de l’humanité (culte unique) en rejetant les anciens cultes. Freud écrivit dans "Moïse et le monothéisme" (1939) : « Le monarque, dans son zèle, alla jusqu’à faire rechercher les
inscriptions des monuments anciens pour que le mot "Dieu" y fût effacé chaque fois qu’il y était au pluriel. ».
Sa religion se focalisait exclusivement autour d’Aton, ce qui explique le nom qu’il s’était donné, Akhenaton,
alors qu’à l’origine, il s’appelait Aménophis IV (en anglais, Amenhotep IV). Ce culte du soleil et le développement culturel et social qui en a suivi étaient néanmoins déjà en germe lors du règne
d’Aménophis III qui supervisa la construction du temple de Louxor et l’agrandissement de celui de Karnak, ainsi que la réalisation de son temple funéraire dont il ne reste plus que les
impressionnants Colosses de Memnon au bord de la route allant du Nil à la Vallée des Rois.
Akhenaton fut le dixième pharaon de la XVIIIe dynastie de l’Égypte antique, et
son règne dura plus d’une quinzaine d’années, entre environ 1352 avant Jésus-Christ et environ 1336 av. JC. Fils du pharaon Aménophis III, Akhenaton fut sans doute le premier chef d’État à jouer
dans le people, multipliant les représentations de lui avec sa famille, son épouse Néfertiti, à la beauté légendaire, et ses enfants. La place de la femme dans les représentations laisse
d’ailleurs entendre que le rôle des femmes était loin d’être négligeable à cette époque. La représentation de sa famille (voir en fin d’article la photo du couple avec ses trois filles) était
réalisée sous la protection divine des rayons solaires.
Néfertiti, elle, est née vers 1370 av. JC. On ne sait pas grand chose de son origine
(probablement de l’aristocratie égyptienne) ni de sa chronologie si ce n’est qu’elle a été très influente lorsqu’elle était l’épouse d’Akhenaton. Pour preuve, on a retrouvé à Karnak plus de
représentations d’elle que de son souverain de mari. Elle a disparu à la quatorzième année du règne d’Akhenaton. Elle aurait pu être disgraciée ou morte à cette époque, ou elle aurait pu vivre
cachée jusqu’à la fin de ce règne. Elle aurait pu même régner après lui. Ni sa momie ni celle d’Akhenaton (surnommé l’hérétique) ne furent retrouvées pour l’instant des archéologues. Seuls des
restes non identifiés dans la tombe de sa mère pourraient provenir du squelette d’Akhenaton.
Les analyses génétiques récentes (publiées le 17 février 2010) ont démontré que le pharaon Toutankhamon (mort vers l’âge de 19 ans et dont la momie a été retrouvée intacte le 4 novembre 1922
par l’archéologue britannique Howard Carter, sujet d’une exposition itinérante en particulier à la Porte de Versailles de Paris pendant le printemps et l’été 2012) fut le fils d’Akhenaton mais
pas celui de Néfertiti. Sa mère fut une jeune sœur d’Akhenaton (qui était également une autre épouse du souverain).
Toutankhamon a régné pendant une décennie après le bref règne d’une demi-sœur, quelques années après la mort
de son père et sans doute influencé par le clergé aigri, il a rejeté le culte d’Aton pour revenir à celui d’Amon (il fut appelé Toutankhaton et a pris le nom de Toutankhamon pour cette raison).
Résultat, le règne d’Akhenaton fut jeté dans les oubliettes de l’histoire pendant plus de trois mille ans, jusqu’aux expéditions et découvertes des archéologues du XIXe siècle.
Une vingtaine d’années après Toutankhamon, débuta la XIXe dynastie au cours de laquelle ont régné
entre autres Séthi Ier (1294 av. JC à 1279 av. JC) et Ramsès II (1279 av. JC à 1213 av. JC) qui fit construire le Ramesséum sur l’autre rive du Nil en face de Karnak
(ce fut là notamment la première "école", identifiée par l’archéologue français Christian Leblanc en 2002).
Un buste magnifique
Mais revenons au buste de Néfertiti. Les archéologues allemands menés par Ludwig Borchardt (financés par la
Deutsche Orient-Gesellschaft) fouillèrent le site d’Amarna entre 1911 et 1914, en particulier dans les maisons particulières où ils retrouvèrent beaucoup d’objets qui ont montré une rupture
esthétique dans l’art égyptien. Entre sept mille et dix mille objets furent ainsi exhumés dont cinq mille sont désormais à Berlin.
L’art amarnien se caractérise notamment par son naturalisme : il a représenté beaucoup d’animaux et de
plantes. Il est visible notamment à Karnak où Akhenaton avait complété le temple par des statues géantes qui le représentent avec des lèvres développées et un bide (gros ventre) peu gracieux mais
probablement plus proche de la réalité que les représentations classiques plus idéalisées.
La découverte à Amarna de nombreux objets dans l’atelier de Thoutmosis fut une chance exceptionnelle de
connaître la cour royale. Thoutmosis fut le sculpteur officiel d’Akhenaton. Parmi les trésors ensevelis, quelques statuettes de Néfertiti (comme celle sur la photo). On a aussi retrouvé de
nombreux moules en plâtre représentant la famille royale. Le 6 décembre 1912, un ouvrier travaillant pour Ludwig Borchardt a découvert le buste de Néfertiti d’une exceptionnelle beauté. Borchardt
a noté sur son journal : « Soudain, nous avions entre les mains l'oeuvre d'art égyptienne la plus vivante qui soit. C'est impossible de l'exprimer avec des mots. Il faut le voir... Il est
quasiment complet, seules les oreilles ont été ébréchées, et il manque l'insert dans l'orbite gauche. ».
L'archéologue a réussi à l'apporter à Berlin en masquant son importance le 20 janvier
1913 au Conseil suprême des antiquités égyptiennes présidé par le Français Gaston Maspero. Borchardt a ensuite confié le buste à Henri James Simon, un des fondateurs de la Deutsche
Orient-Gesellschaft. Cet objet devint même l’une des fiertés de la nation allemande.
L’objet ne fut révélé au public qu’en 1923 et exposé en 1924 à Berlin. Il aurait été réalisé en 1345 av. JC
pour servir de modèle à d’autres œuvres. Haut d’environ un demi mètre, le buste brille de très belles couleurs. Six pigments furent utilisés : noir, blanc, vert, bleu, rouge et jaune. Il lui
manque l’œil gauche qui serait tombé avec le reste des ruines de l’atelier (du quartz).
Authenticité contestée mais finalement prouvée
Cependant, au-delà de la revendication de l’Égypte à rapatrier ce bijou de l’art égyptien (formulée officiellement par Zahi Hawass en 2005), une polémique
est déclenchée par l’historien de l’art suisse Henri Stierlin le 12 mars 2009 (il a 84 ans maintenant) bien qu’il n’eût apporté aucune preuve tangible à ses affirmations.
Dans son livre "Le buste de Néfertiti, une imposture de l’égyptologie ?", il a remis en cause l’authenticité du buste. Son côté "art nouveau" très à la mode au début du XXe siècle,
le fait que les épaules fussent coupées verticalement et pas horizontalement habituellement, quelques autres indices comme l’absence de rapport de fouilles immédiat et les conditions de son
acheminement vers l’Allemagne ont incité l’auteur à mener douze ans d’enquête.
Selon lui, ce buste serait un plâtre expérimental réalisé avec les nombreux pigments retrouvés dans les
ruines de l’atelier : « Au départ, à mon avis, il n’y a pas eu malhonnêteté. Borchardt a exhumé d’admirables têtes de Néfertiti. Mais tous
restaient lacunaires. Le chercheur a donc demandé au sculpteur restaurateur de sa mission archéologique, qui s’appelle Mark ou Marx, de lui en fabriquer une, en s’appuyant, pour compléter les
manques, sur des bas-reliefs existants. ».
C’est alors que le prince Johann Georg de Prusse et d’autres princesses de la Saxe vinrent visiter les
fouilles, et ils admirèrent le buste. La mission ne pouvait plus les détromper. Borchardt n’aurait pas osé décevoir le prince et lui aurait assuré de son authenticité : « C’est sous la pression des amateurs d’art que Borchardt bâcle, en 1923 seulement, un vague rapport sur sa pseudo-découverte. ». Le buste aurait dû
être restitué à l’Égypte en 1933 (à l’initiative de Göring qui voulait acheter une alliance avec le roi Farouk Ier) mais Hitler refusa : « Hitler adorait hélas le buste. Il croyait que Néfertiti était une princesse hittite et par conséquent, aryenne. ».
Si le Neues Museum de Berlin a reconnu qu’il y a eu d’importantes retouches sur le buste, notamment sur le
nez et les joues (creusées à la Marlene Dietrich), ce qui rendait la reine conforme aux canons de la beauté féminine du début du XXe siècle, son caractère faux a été fermement nié.
Et pour cela, les experts se basent sur des mesures extrêmement fines des matériaux utilisés dans la
confection du buste. Les pigments proviennent bien de l’époque d’Amarna. De plus, une série de mesures de tomographie réalisées par le radiologue Alexander Huppertz en 2006 sont venus confirmer l’authenticité du buste, composé de plâtre sur une esquisse en pierre.
Pour Dietrich Wildung, le conservateur de l’Ägyptisches Museum de Berlin, il n’y a aucun doute à avoir. Mieux : les analyses au scanner ont décelé des fissures internes qui fragilisent la
pièce et rendent son transport impossible. Donc, impossible de restituer le buste à l’Égypte !
Jusqu’au 13 avril 2013, 600 pièces de l’art amarnien à observer
Cet objet, considéré comme la Joconde de Berlin, est actuellement estimé à 300 millions d’euros. Les
personnes qui se trouveraient à Berlin seraient donc bien mal inspirées s’elles ne s’arrêtaient pas au Neues Museum pour visiter cette reine mystérieuse mais si sublime et rayonnante.
Le Neues Museum (Bodestraße 1-3, 10178 Berlin) est ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00 sauf le mardi
jusqu’à 20h00. Il est très bien desservi par les transports en commun (métro, tramway, bus).
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (6 décembre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Louxor sans
concorde ?
Retour
de la Reine.
Le
buste serait-il un faux ?
Expo sur l’art
amarnien à Berlin.
Analyses génétiques de la famille
royale.
Analyses du
buste.