Ce roman est paru en 2010 mais il demeure plus que jamais d'actualité. Ce n'est pas un documentaire, il reste un roman, mais il sonne tellement vrai pour tous ceux, surtout celles d'ailleurs, qui ont approché un pervers narcissique que le livre finit par prendre une allure de témoignage. De nombreuses pages sont édifiantes de vérité.
C’est aujourd’hui la journée consacrée aux violences faites aux femmes. Les statistiques sont affligeantes et même si les femmes commencent à oser dénoncer les mauvais traitements qu’elles subissent ce n’est pas pour autant qu’ils diminuent en nombre et en puissance.
L’intérêt du livre d’Eliette Abecassis, qui reste cependant un roman, et non un récit, est de faire la lumière sur un mode de relation qu’il est très difficile de débusquer et qui fait des dégâts très importants. Il n’est pas question de bâtir une échelle du pire. Ce que chacune subit est une forme de « pire » à son niveau. Mais l’emprise psychologique est sans doute une des choses les plus abominables parce qu’elle s’attaque à l’intégrité psychique d’une personne, en général hors la vue de témoins.
Tout commence dans cette affaire par une conversation qu’Agathe surprend malgré elle entre son mari et une voix féminine, faisant naitre, non pas des soupçons mais carrément des preuves de ses mensonges. Dès lors elle mène l’enquête et pirate son ordinateur.
Le mari a une page facebook le présentant comme une bombe sexuelle. Il s’est construit un réseau de 1602 amis et sa messagerie déborde de mails témoignant des tendances sado-maso.
La frontière entre virtuel et réalité a tremblé. Les valeurs de cette mère de famille implosent. Ce qu’elle croyait impossible devient son quotidien. Le bien-être de sa petite famille vient de fondre comme neige au soleil. Et le pire est à venir.
Ignorante de l'ampleur de ce qui va advenir Agathe joue franc jeu et annonce à son époux qu’elle sait tout, lui laissant sans doute la chance de se reprendre. L’homme ne nie pas mais contre attaque. Tout est de sa faute à elle. Les scènes de ménage s’enchainent avec une mauvaise foi évidente d’un coté et une tentative désespérée de comprendre de l’autre.
Quand la jeune femme affirme qu’elle veut le voir réfléchir sur le sens de ses actes il incrimine : Et voilà l’hystérie qui recommence ! On ne peut pas parler avec toi, sans que ça tourne au drame. (page 29)
Agathe ne souhaite pas divorcer, mais comment faire autrement puisque le mari qu’elle s’est choisi n’est pas le bon ? Les souvenirs remontent à la surface pour alimenter une conclusion accablante : Il me semble que depuis mon mariage, je n’ai jamais cessé de divorcer (page 42).
En femme de bonne volonté et d’esprit sain elle imagine (encore une erreur de jugement) que la séparation sera aisée puisque rien ne va plus. Le premier entretien avec l’avocate va lui remettre les pieds sur terre. On accorde maintenant la garde alternée à tout va, y compris pour un bébé de six mois encore allaité. Autrement dit, il n’y a aucune chance que ses petits garçons soient dispensés des aller-retour entre deux domiciles. Et la culpabilité est à son comble.
Le magique des premiers mois de vie à deux devient tragique. La fin du couple, c’est quand chaque mot signifie sans le dire la fin du couple.
Agathe resonge au passé et tout devint clair. L'alcoolisme du conjoint apparait sans ambigüité. Elle réalise qu'elle a tout assumé, toujours, sur tous les plans, y compris financièrement. Il a profité d’elle et il n’a pas l’intention de cesser, séparation ou pas.
le lecteur découvre que si elle a tout payé et qu'elle peut le prouver cela ne change rien au problème. Etant mariés sous le régime de la communauté de biens la femme « doit » au mari la moitié de l’appartement, des meubles et même de ses économies. Plus la garde des enfants, puisque c'est une quasi-règle et qu'en prime la maman commence à montrer des signes de faiblesse psychologique. S'ajoutera une pension alimentaire car l'homme a triché sur ses revenus et qu’il apparait que c'est elle qui a des revenus supérieurs. Bref elle va être dépouillée de tout, de ses rêves et de sa réalité.
Ce qui est original dans la manière de traiter le sujet c’est que l’auteur dépeint une femme qui est encore amoureuse de son mari ou du moins qui, sous couvert de comprendre, va échafauder un stratagème pour entrer en communication avec lui. Elle va investir son terrain de chasse en se créant un profil facebook et le séduire via Internet. L’hameçon est gros mais il est efficace.
Comme le souligne Eliette Abécassis, nous vivons dans une époque de la traçabilité, d’espionnage et du retour de l’écrit. On peut brûler des papiers, perdre un ordinateur mais on ne peut jamais effacer le virtuel. (...) Avant l’ère technologique, les petites et les grandes infidélités passaient comme lettre à la poste. Mais depuis qu’il n’y a plus de lettre à la poste, c’est devenu impossible. Nous sommes dans le temps de la surveillance, traqués par nos portables … Les comptes se piratent, les boites vocales s’écoutent. Chacun est pisté. (page 86).
Comment croire qu’une nouvelle relation à deux puisse être simple et vraie après cela ? Agathe ne se sent ni aimable ni capable d’aimer (page 116). Elle n’y prête pas attention et pourtant un homme s’intéresse à elle. Pourra-t-elle croire en la sincérité de ce nouveau venu ? Qui en prime est un homme marié.
La situation se complique. La guerre s’accentue. Il faut des témoignages, vivre à la Columbo (si tu n’as pas de preuves, fabriques-en peut-on lire page 154). C'est un nouveau déluge de désillusions avec les proches ou la famille qui refusent, lui conseillant surtout de ne pas s’épuiser dans un combat qui n’en valait pas la peine. C’est là qu’elle compte ses amis, pas ceux de facebook, mais les vrais. A l'inverse, certains perdus de vue se révèlent de précieux alliés.
Elle constate que ses affaires disparaissent, des photos, des vêtements. Elle doit vivre en conservant sur elle en permanence sa précieuses clé USB, ses dossiers, ses contrats, Elle découvre que son ordinateur porte les traces de visites, que son Iphone a une application la localisant. Chacun engage un détective. Elle n’est plus sûre de rien.
Sauf de son amitié avec un certain Solal, ... sur Internet évidemment. Il la soutient, lui prodigue des conseils. Y compris de lâcher prise sur l’appartement et sur l’argent, ce qui serait le (moindre ...!) prix à payer. Ce genre de personnalité à besoin de vous arnaquer, d’une façon ou d’une autre. Donnez-lui donc cet os à ronger. Et utilisez votre énergie pour faire quelque chose de constructif. Réfléchissez bien (page 215). Solal justifie sa compréhension de la particularité du contexte parce qu'il aurait vécu quelque chose de semblable.
On nous décrit bien sûr les inévitables confrontations et audiences. Les deux versions sont radicalement opposées. Laquelle la juge pourrait-elle croire ? La tension monte. Le mari poursuit son harcèlement par des mails provocateurs auxquels Agathe a envie de répondre du tac au tac, en sortant de ses gonds et en l’insultant. Intervient alors une professionnelle dont j’ignorais la compétence : une psychiatre chargée de faire du « démailing ». C’est elle qui répond à sa place avec des je comprends, il m’a semblé judicieux, je ne veux pas être en conflit, libre à toi de croire, il me semble, je te souhaite, ne t’en fais pas ...
L'auteur a choisi l'oeuvre la plus connue de Gustav Klimt pour illustrer la couverture. Le baiser est emblématique de l'amour fusion d'un couple qui s'étreint en dehors du temps et de l'espace et de toute contrainte matérielle ou domestique. La profusion d'or confère à l'instant une dimension quasi sacrée, mais on peut remarquer que le parterre de fleurs semble au bord du vide sous les pieds de l'homme, que la prodigieuse cape est presque une métaphore de l'engloutissement, que la femme est agenouillée, yeux fermés, et que cette harmonie ne durera peut-être que l'espace d'un instant. C'est peu visible sur le livre parce que le plan est resserré. C'est plus apparent sur le tableau entier et observé avec un peu de recul.
De même, chacune pourra suivre le déroulement de cette affaire conjugale comme une pure trame romanesque, y voir une peinture de la société ou une mise en garde contre des pratiques (hélas) trop fréquentes et banalisées par des siècles de soumission. En tout état de cause il y a beaucoup de vrai dans tout cela. Le site pervers-narcissique.blogspot.com référencé page 299 existe bel et bien et est susceptible d'apporter des informations très utiles.
Une affaire conjugale d’Eliette Abecassis chez Albin Michel 2010