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Jeudi soir. Théâtre de la colline. On me prévient, "Nouveau Roman" dure trois heures, il s'agit d'un spectacle sur les écrivains tous issus du dernier grand mouvement littéraire créé dans la fin des années 1950 : Le nouveau Roman. Je suis curieuse, mais je viens surtout pour le metteur en scène, Christophe Honoré, cinéaste touche à tout, qui me fascine par son univers. Ces films sont déjà des hymnes à la littérature, la plupart influencés par les réalisateurs de la Nouvelle Vague. "Chansons d'amour" ou les "Biens aimés" sont des films attachants, "Nouveau Roman" promet d'être réussi. Evidemment il y a la thématique. A part Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Françoise Sagan ou Marguerite Duras, je ne connais pas les oeuvres des autres écrivains. Installée au milieu du rang O, je suis coincée entre une vieille dame impotente et une étudiante qui déménage (sa valise est glissée sous ses pieds), il m'est impossible de me défiler, je vais devoir rester jusqu'au bout. Autour de moi, des jeunes, pour la plupart âgés de 15 à 17 ans. Je me penche vers l'un d'eux, une jeune fille aux tresses blondes, "En quelle classe êtes-vous?"."En seconde Madame". Le Madame me fiche un coup. Passons. "Et vous étudiez les auteurs du Nouveau Roman?" "Oui. Et j'adore Mauriac". Claude Mauriac. Je n'ai rien lu de lui. Je me sens inculte. La jeune fille aux tresses blondes, Génération Y, se tourne vers sa copine et plante la Génération X qui a vieilli.
Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, Margurite Duras, Claude Mauriac, Jérôme Lindon, Claude Simon, Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Claude Ollier, Francoise Sagan, ils sont tous là. Je laisse sa chance au cinéaste, curieuse de découvrir son travail de metteur en scène de théâtre car je n'ai jamais assisté aux représentations de ses textes montés il y a quelques années ( "Les débutantes" en 1998, "Beatiful Guys" en 2004 ou "Dionysose impuissant" en 2005). Les lumières se voilent. Les écrivains débarquent sur scène avec nonchalance, la sexy Ludivine Sagnier (alias Nathalie Sarraute) lance le dialogue. Faut-il brûler Sartre ? Voici entre autre l'une des réflexions de la joyeuse bande de Christophe Honoré, qui évolue dans un décor années 60, (amphi ou studio TV ou encore salle de procès? ), chacun d'eux s'emparant d'un micro pour prendre la parole. C'est drôle, intelligent et accessible. Plusieurs dispositifs permettent de sortir régulièrement des discussions, comme un souffle après une longue réflexion. Ce sont des extraits d'images d'archives, des entretiens d'écrivains vivants évoquant le Nouveau Roman, des chorégraphies, des chansons qui rythment le spectacle. On retrouve l'univers du cinéaste, dynamique, enthousiaste et vivant. On est là, proche du groupe, on assiste à leurs débats, leurs querelles, leurs tâtonnements. On a envie d'être avec eux, ils ont l'air de s'amuser. Ca sent la soupe de poireaux, les comédiens dînent, boivent, il y quelque chose d'émouvant qui s'installe, peut-être qu'on les aime déjà. Ils sont justes, touchants et drôles. Ici pas de ressemblance, Christophe Honoré se donne la liberté de choisir des comédiens qui ne sont physiquement pas les portraits de ceux qu'ils incarnent. Et c'est tant mieux. Ils sont jeunes, s'habillent vintage et fument des Craven. Le discours littéraire laisse peu à peu la place à un regard plus personnel, celui de Christophe Honoré, il questionne le travail de l'auteur, sa solitude, son individualité dans le collectif, sa place dans la société, son engagement ... Chistophe Honoré est peut-être à la mode mais sont pari est réussi. Les 3 heures ont défilées à toutes vitesse. Son spectacle fédère les générations. Interroge. Et je repars excitée à l'idée de découvrir les ouvrages de ceux que je ne connaissais pas. Le Nouveau Roman jusqu'au 9 décembre au Théâtre de la Colline. Photo Izima Kaoru ici