« Ce jeune homme, appelons-le Jean Dézert. » Ainsi commence ce court roman dû à une gloire injustement méconnue des lettres françaises : Jean de La Ville de Mirmont, emporté en 1914 par le déluge de plomb fondu qui coulait alors dans les tranchées. Quelques mois auparavant, il avait publié dans un anonymat qui confine à la pudeur 300 exemplaires de ce chef-d’œuvre, le seul qu’il ait eu le temps de commettre : Les Dimanches de Jean Dézert.
Post-moderne avant l’heure, Jean de La Ville de Mirmont nargue les conventions littéraires qu'il subvertit par la raillerie et affiche un certain détachement par rapport à la fiction. Puisqu'il faut donner un nom au personnage principal, autant l'appeler Jean Dézert. Jean Dézert ! Ce nom sonne comme une fatalité congénitale, une promesse de vacuité. Le premier chapitre, sobrement intitulé « Définition de Jean Dézert », souligne bien qu’il s’agit d’un nom – mode d’emploi.
Par cet avatar de l'immarcescible ennui baudelairien, Jean de La Ville de Mirmont propose un roman sur rien et s’inscrit de fait sur la liste noire des « I would prefer not to » qui émaillent la littérature du refus. Consanguinité thématique avec Melville, dont le « Call me Ishmael » n’est pas sans rappeler également notre Jean Dézert.
Il s'agit d'un homme résigné, qui « considère la vie comme une salle d’attente pour voyageurs de troisième classe ». Il est la semaine employé de ministère, et pas de n’importe lequel : le Ministère de l’Encouragement au Bien (Direction du Matériel) – « qui fait écho à la bien réelle Société d’Encouragement au Bien » de l’époque, me souffle le préfacier, Arthur Bernard. (Le préfacier arrive toujours à temps pour sauver le critique.)
La semaine durant, Jean Dézert attend le dimanche, jour plein de vide, qu’il emploie à suivre les conseils glanés dans les prospectus distribués dans les rues de Paris, afin qu’autant faire se peut il n’ait pas recourt à son libre arbitre pour décider de sa vie absurde, forcément absurde.
Au cours d’un de ces périples soumis à l’arbitraire du prospectus, il va rencontrer l’inattendu sous la forme d’une toute jeune femme, Elvire, dont « On devinait en outre qu’il en aurait fallu beaucoup pour l’étonner, mais peu pour la distraire. » De cette beauté versatile au caractère un rien gâté, Jean Dézert va s’enivrer, au point de se fiancer (l’idée n’est pas de lui).
Puis il se défiance (l’idée n’est toujours pas de lui) et trempe son amertume dans le Léthé des plaisirs, de l’alcool et de la mort. Sa vie de débauches ne dure que quinze jours, après il n’en peut plus et reprend sa vie normale, « se sachant de nature interchangeable dans la foule et vraiment incapable de mourir tout à fait ». Et la calme monotonie des jours qui fuient reprend son droit sur la vie de cet homme. Fin du roman.
Jean de La Ville de Mirmont écrit de ce style calme et mesuré qui donne à son livre un charme sûr, une élégance intemporelle, à l’image de cette très belle édition que nous offre Cent pages, dont les livres sont tous signés de cette patte graphique qui fait de leur maquette un modèle de non-conformisme chic.
Un livre to the happy few, et c’est bien dommage, car il gagnerait à être lu davantage.
- Les Dimanches de Jean Dézert, de Jean de La Ville de Mirmont, Cent pages, 12 €.