par Philippe Serpault
Votée en 1998 afin de revitaliser les zones rurales par le tourisme, la loi Demessine s’est révélée une aubaine pour les investisseurs et un accélérateur de la déprise agricole. Exemples avec des projets avortés en Ariège et l’ombre inquiétante de deux golfs dans l’Aude, aux allures de montages immobiliers pour retraités fortunés.
Nous sommes en décembre 1998. En pleine euphorie de la Gauche Plurielle, la camarade Michèle Demessine alors secrétaire d’État au Tourisme, croit faire un cadeau de Noël aux zones rurales, confrontées aux difficultés économiques, en faisant voter la loi qui porte désormais son nom. L’actuelle sénatrice communiste pensait revitaliser des espaces ruraux qui voyaient leurs terres partir à l’abandon. Cette loi proposait, dès son adoption, une réduction d’impôts pour tout investisseur d’une résidence de tourisme dans une zone de revitalisation rurale. Les amendements, adoptés dans les années qui ont suivi, ont étendu la mesure à tout l’espace rural voire périurbain.
Résidences fantômes
C’est une brèche dans laquelle se sont engouffrés bon nombre d’investisseurs et autres marchands de rêves, faisant miroiter, à des élus locaux béats, des revenus mirifiques pour leurs communes et surtout la venue de populations fortunées dépensant sans compter au bénéfice de la piétaille locale. C’est ainsi que le département de l’Ariège a vu fleurir des projets qui s’enlisent aujourd’hui dans les prétoires, de nombreux petits épargnants ayant répondu aux chants des sirènes par l’acquisition d’appartements, au mieux encore en chantier, au pire, pas encore commencés.
Pour ce faire, le Conseil général a soutenu la création du Club Investissement Ariège Pyrénées (CAPI) en 2003, chargé de faire venir les investisseurs dans le département, action efficacement relayée par Bruno Lavielle, chargé de mission rémunéré par la collectivité départementale. Les investisseurs sont venus, ont engrangé les fonds des petits épargnants, et sont repartis. L’un d’eux, mis en examen pour escroquerie, faux et usage de faux en 2011, est aujourd’hui décédé. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire.
En 2008, le préfet de l’Ariège s’émeut d’une telle situation et Bruno Lavielle fait valoir ses droits à la retraite, mais le CAPI, subventionné à 98% par le Conseil général, confie des prestations à la société AA Partners créée par… Bruno Lavielle, vous suivez ? Cet imbroglio étant révélé au public (1), le CAPI est dissous sur injonction du président du Conseil général, mais les résidences fantômes hantent toujours le département, tandis que Bruno Lavielle a disparu de la circulation et reste injoignable. Les Soulades, Guzet, Aulus, Saint-Lizier ou le Carla-Bayle, autant de chantiers inachevés sur lesquels les pigeons du CAPI ne peuvent même plus se poser.
Gazons maudits
Si l’Ariège est classée au titre des possibilités d’investissement faibles selon le site Loi-Demessine, le voisin de l’Audois se trouve en possibilité moyenne. Cela n’a pas échappé à la Fédération Française de Golf ni à Catherine Lacoste (fille de l’homme au crocodile), propriétaire du domaine Chanteco à Saint-Jean de Luz (Pyrénées-Atlantiques). Sous couvert d’encourager la pratique dans l’Aude, la seule Française à avoir remporter l’US Open de golf a décidé d’investir au pied de la Montagne Noire sur la commune de Fontiers-Cabardès. Le maire, Yves Bonnafous, a soutenu la création de l’UTN (Unité Touristique Nouvelle), éligible à la loi Demessine pour ses investisseurs, en tablant sur des taxes sur le foncier bâti et sur l’habitation prometteuses.
Fontiers-Cabardès Golf de la Montagne NoireLe projet couvre une superficie de 240 hectares, dont plus de la moitié en SAU (Surface Agricole Utilisée), une grande partie étant exploitée par la famille Carayon installée en fermage depuis quarante ans et pratiquant la polyculture et l’élevage laitier. Une jeune agricultrice, travaillant sur la ferme, cherche à s’installer sur la commune, mais l’UTN menace la pérennité de l’exploitation en permettant aux propriétaires de rompre le fermage et de vendre aux promoteurs du golf. Cependant, Yves Bonnafous ne croit plus vraiment à l’agriculture et appuie le projet d’UTN, lequel est refusé par le préfet qui a suivi l’avis défavorable du comité de massif pour au moins trois raisons principales : « L’impact du projet sur l’organisation locale n’est pas approfondi, l’insertion de l’UTN dans l’environnement n’est pas garantie, les études d’impact sont à réaliser. » Un deuxième projet est déposé, prévoyant trois cents villas au lieu de quatre cents, le reste des aménagements, dont un héliport, étant maintenu. La consommation prévisionnelle d’eau a été revue à la baisse, passant de 83.000 m3 à 60.000 m3 dans un département régulièrement soumis à des restrictions en raison de la sécheresse. « L’eau ne manque pas ici, c’est nous qui alimentons le canal du Midi avec la prise d’Alzeau », se défend Yves Bonnafous en brandissant une photo prise en août de cette année, montrant le site convoité couvert d’un tapis de verdure.
Des "crocodiles" vigilants
Si effectivement, Fontiers tient son nom des multiples ressources aquatiques de son territoire, il n’en reste pas moins que la ressource s’amenuise chaque année. D’ailleurs, l’UTN prévoit d’ajouter 8.000 m3 aux retenues existantes afin que le golf reste bien vert. L’absence de subventions publiques pour ce projet ne doit pas masquer les investissements nécessaires au fonctionnement de l’UTN, lesquels restent à la charge de la collectivité, aménagement routier et mise en place des réseaux, et rien ne dit que les frais d’entretien seront couverts par la fiscalité.
Au registre des promesses d’emplois qui accompagnent régulièrement ces projets, il est annoncé quatre-vingts personnes à temps complet sur le site, seulement il faut rappeler que le domaine en question se trouve à huit cents mètres d’altitude et le golf ne se pratique pas sous la neige. Face à ce projet, un collectif reste vigilant. Les crocodiles du Cabardès se mobilisent pour sauver ce qui reste de l’agriculture locale : « Par les travaux qui vont être effectués, l’artificialisation des terres sera irréversible », s’insurge Emmanuel Pistre, membre du collectif qui fustige l’absence de réunion publique d’information pour la population.
Selon le ministère du Développement Durable, les espaces artificialisés ont augmenté de 3% en France métropolitaine entre 2000 et 2006, dont 88% de terres agricoles, il y a peu de chances que la tendance se soit inversée depuis. Aujourd’hui, la loi permet aux maires de créer une ZAP (Zone Agricole Protégée), à l’heure où l’on parle de circuits courts et d’agriculture paysanne, tout n’est que question de motivation pour les élus et surtout de choix politique.
(1) La presse ariégeoise est restée muette sur le sujet. Nous devons l’information à l’audit de l’ancien trésorier du CAPI, Michel Bégon, publié par Jean-Pierre Petitguillaume dans son journal “le Turbulent” que l’on peut consulter sur son site...
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