« Seul un Dieu peut nous sauver »
« Je ne sais pas si la philosophie doit être athée »
Ainsi les deux plus grands philosophes modernes concluent-ils la philosophie du XXème siècle. Heidegger et Deleuze, pour des raisons bien différentes, arrivent à cet aveu paradoxal après 2600 ans de réflexion occidentale.
Alors sur quoi va s’ouvrir la philosophie du XXIème siècle ? C’est un hasard total mais je lis façon ping-pong deux livres aux propos fort similaires bien que sur deux formes bien différentes.
Il y a celui du Boris Becker de la philosophie, Vittorio Hösle, « Philosophie de la crise écologique » aux éditions (marseillaises !) Wildproject. On en a parlé ici déjà avec leur démarrage (Carlson et Naess, c’est pas rien).
Et il y a, fraternité oblige, celui de Sabine Rabourdin, « Replanter les consciences » aux éditions écolo-compatibles Yves Michel.
Celui de l’allemand polyglotte est écrasant de références à Hegel et à l’idéalisme mais pour qui sait lire à travers, il n’est pas si austère. Celui de ma soeur se permet quelques clins d’oeil amusés et a plus une vocation de synthèse : écologie, ethnologie, sagesse orientale. En clair, il est plus frais et se détache du fardeau occidentalo-centré de la philosophie. Bref, selon votre background universitaire, il va falloir choisir le bon au risque soit d’être écrasé, soit d’être circonspect face aux proverbes zen.
Mais les points communs au fait ?
Déjà tous deux ont acté : le XXIème siècle, c’est déjà celui de l’écologie et nous vivons bien la mort d’un paradigme qui pantèle encore pour ne pas céder la place au nouveau. Si Sabine est plus optimiste et liste déjà les initiatives fructueuses qui sont déjà dans cette fameuse transition écologique, celui de Vittorio décortique plus les jeux dialectiques qui se révèlent dans ces moments de basculement. L’histoire se répète en effet.
C’est Ernst Ulrich von Weizsäcker (le fils du physicien au rôle trouble dans le développement de l’arme atomique par les nazis) qui attribuait à chaque siècle son thème.
Le XVII fut la religion, le XVIII fut pour les cours princières, le XIX pour les Nations, le XX pour l’économie. Et à chaque fois, lors des transitions on peut distinguer deux familles : les conservateurs et les progressistes. Pour affiner, on peut même décliner en vieux conservateurs (Hans Jonas), jeunes conservateurs (Nouvelle Droite française), neo-conservateurs (tous les économistes officiels sur les plateaux télés…)
Et sur l’autre bord, des neo-progressistes (CGT), jeunes progressistes (Derrida), vieux progressistes (Habermas) et enfin, partisans avancés du nouveau paradigme : Colibris, MAUSS, objecteurs de croissance…
De prime abord, cet étiquetage peut sembler insupportable et cloisonnante. Mais c’est tout le contraire. Le propos de Hösle (mais d’autres ne l’ont pas attendu), c’est de montrer que ce sont les catégories d’aujourd’hui qui ne fonctionnent pas. Ainsi, au sein d’une famille politique, c’est la discorde complète. On trouve des neo-conservateurs au sein des deux grands partis français ce qui fait qu’il n’y aurait pas d’incompatibilité formelle entre certains de leurs représentants (disons Valls et Fillon). La réciproque est vraie concernant les progressistes. Et même chose du côté des syndicats ou apparentés. Vous aurez chez ATTAC des productivistes focalisés sur la lutte des classes aussi bien que des objecteurs de croissance.
En somme, les étiquettes d’aujourd’hui ne fonctionnent plus et les crises internes vont être monnaie courante le temps que les frontières paradigmatiques se dessinent selon un autre axe… qui est celui de la philosophie écologique.
Mais le coeur des deux ouvrages à mon sens est le questionnement sur l’origine de la rupture avec la nature. Quel a été le processus, lent et méthodique, qui a fait passer l’homme d’un être « intégré à la nature » à un être non seulement « en-dehors de la nature » mais « prédateur de la nature« . Grosso modo, ce sont les mêmes étapes qui sont identifiées :
- la révolution néolithique avec l’agriculture : création de surplus et dépassement des limites
- l’urbanisation avec l’apparition du système patriarcal et de la propriété
- la pensée rationnelle durant l’antiquité
- le monothéisme ou plus exactement le christianisme et il y a de quoi disserter sur cette religion où Dieu s’est fait homme…
- l’Humanisme qui est aussi un appui de l’individualisme
- le cartésianisme et les Lumières qui renforcent la dualité esprit/matière. Hösle est impitoyable avec Descartes, ne comprenant comment un tel génie a réellement pu croire que les animaux n’éprouvaient pas de sentiments…
- l’industrialisation et l’idéologie de croissance
Évidemment, il n’est pas question ici de rejeter toutes ces « inventions » et de prôner un retour aux modes de vie chasseur-cueilleur… Mais comme toujours, toute innovation a son revers et ce n’est qu’en ré-interrogeant le processus que nous pourrons nous inspirer. Il y a du bon, par exemple, chez les penseurs grecs (qui par ailleurs revendiquaient le végétarisme), dans les mystères christiques et dans l’humanisme comme projet d’émancipation.
Au final, la chose la plus démoralisante en lisant ces livres, c’est la sensation de se sentir porté par le cours de l’Histoire? De sentir que quoi que nous fassions, le destin-fatum va s’accomplir, que les mêmes erreurs seront commises comme aux siècles précédents et que ce ne seront pas forcément les plus audacieux et les plus utopistes qui l’emporteront.
Vivement le XXIIème siècle qui sera celui de…
PS : pour ceux qui se demandent que vient faire de la vulgarisation philosophique sur un blog d’entreprise… je rappelle simplement que les magazines papier à vocation journalistique proposent des montres, des voitures et des crédits à la conso.
Néanmoins ! Replanter les consciences et Philosophie de la crise écologique