La Catastrophe de Bhopal

Par Hunterjones
Dans les années 60, l'Inde dont la population augmente rapidement, vise l'autosuffisance alimentaire via une révolution verte. Les végétaux sélectionnés demandent plus d'engrais et plus de pesticides. Le projet de construire une usine de pesticides est donc bien accueilli.
Selon ses promoteurs, une production importante peut permettre de sauver près de 10% de la récolte annuelle. Une première usine est construite en 1969 au centre du pays. En 1977, le gouvernement indien exige la construction d'une seconde usine, sous peine de ne pas renouveler la licence d'exploitation de leur propriétaire: Union Carbride Corporation (India).

La seconde usine est construite en 1978 à Bhopal, ville comptant alors pas moins de 300 000 habitants, à 600 kilomètres au sud de New Delhi. L'usine conçue pour produire 5 000 tonnes par an de pesticides (alors que la demande en Inde n'aurait jamais dépassé les 2 000 tonnes/an), se trouve à 5 kilomètres à l'extérieur de la ville, et à un kilomètre de la gare. On y produit des pesticides extrêmement toxiques et allergènes. Mais l'usine est placée à l'écart de la population.
Toutefois, celle-ci, attirée par l'accès facile à l'eau, l'électricité les emplois et les salaires offerts par l'usine, affluent autour du site industriel. La population passe de 385 000 habitants en 1971 à 671 000 dix ans plus tard, puis à près de 800 000 en 1984. Les famille les plus pauvres s'agglutinent dans le bidonville de Khasi Camp situé entre la ville et l'usine. D'isolée qu'elle était, l'usine se retrouve englobée dans une ville dense dont les maisons ou abris les plus proches s'accrochent aux grillages d'enceinte, sans schéma d'urbanisation ni possibilité d'appliquer un système de gestion du risque industriel aux zones périphériques. L'usine ne tournera jamais à pleine capacité, signalant des incidents et accidents graves dès l'année de sa construction, suivis notamment d'un immense incendie en 1978 et de cinq importantes fuites de gaz en 1981 et 1983 soldés par un mort, quarante-sept blessés et plus de 670 000 dollars de dommages. Tout ceci est passé sous silence pour ne pas prêter ombrage aux relations d'affaires entre la Union Carbride Corporation et le gouvernement indien.
En 1982, une inspection détaillée fait apparaître dix déficiences sérieuses dans les systèmes de sécurité de l'usine. La même année, l'usine devient déficitaire, n'arrivant pas à vendre tout ce qu'elle produit.
Union Carbride, envisage sa fermeture mais le gouvernement indien refuse car cela constituerait un très mauvais exemple pour d'autres investisseurs étrangers potentiels. Pour rééquilibrer ses comptes, la filiale indienne d'Union Carbride décide alors de réduire les frais d'exploitation et, pour ce faire, licencie progressivement une partie de son personnel qualifié, dont une partie sera remplacée par des employés moins bien formés.
En 1984, après de multiples fermetures temporaires, deux des dix déficiences signalées en 1982 ne sont toujours pas corrigées.
Le 21 octobre 1984,  les opérateurs échouent dans leur tentative d'accroître la pression dans le réservoir 610 pour en extraire l'isocyanate de méthyle qui y est stocké, un composé organique très dangereux pour tous les êtres vivants et confiné à une température inférieure à 0 °C, température au-delà de laquelle il se transforme en un gaz plus lourd que l'air, aussi toxique que le chlore.

Dans la nuit du 2 au 3 décembre...la catastrophe.
21h15: Un opérateur et son contremaître procèdent au lavage d'un tuyau à grande eau. Ce tuyau communique avec le silo 610 ; il semble que la vanne soit restée ouverte, contrairement aux consignes de sécurité. L'eau va donc couler pendant plus de 3 heures et environ mille litres d'eau vont se déverser dans le réservoir.
22h20: Le réservoir 610 est rempli d'isocyanate de méthyle à 70 % de sa capacité.
22h45: Relève de la garde, une nouvelle équipe de nuit prend la relève.
23h00: Un contrôleur note que la pression du réservoir 610 est soit cinq fois plus forte qu'à peine une heure auparavant. Habitué aux dysfonctionnements d'appareils de contrôle, il n'en tient pas compte. Des employés ressentent des picotements des yeux et signalent aussi une petite fuite d'isocyanate de méthyle près de ce réservoir. De tels faits étant fréquents dans l'usine, on n'y prête pas d'attention particulière.
23h30: La fuite est localisée, le contrôleur décide qu'il s'en occupera après sa pause à 0h15.
0h15: La pression intérieure du réservoir 610 dépasse la limite admissible et semble continuer à augmenter.
0h30:  La pression menace, le contrôleur, bravant les instructions reçues de ne pas déranger inutilement son chef de service, se décide enfin à lui téléphoner pour le prévenir. Il sort ensuite pour aller observer l'état du réservoir, qui tremble et dégage de la chaleur. Le couvercle en béton du réservoir se fend, puis la valve de sécurité explose, laissant échapper un nuage mortel.
1h00:  Le chef de service arrive, constate rapidement les fuites de gaz toxiques du réservoir 610 et fait sonner l'alarme.
2h30: On réussit à fermer la valve de sécurité du silo 610.
3h00  : Le directeur de l'usine arrive et donne l'ordre de prévenir la police, ce qui n'avait pas été fait jusqu'alors, car la politique officieuse de l'usine était de ne jamais impliquer les autorités locales dans les petits problèmes de fonctionnement. Carbide observe la même politique aux États-Unis.
Un nuage toxique se répand sur une étendue de 25 kilomètres carrés. La majeure partie de la population dort ou ne réagit pas au signal d'alarme. Les ouvriers de l'usine, conscients du danger, s'enfuient. Il est difficile de prévenir les autorités car les lignes téléphoniques de l'usine fonctionnent mal.

La panique s'étend à toute la ville et, dans la plus totale incompréhension, des centaines de milliers de personnes sont prises au piège, errant dans les ruelles étroites du bidonville, cherchant des secours qui tarderont à se mettre en place. Le gaz attaque d'abord les yeux, entraînant une cécité, provisoire dans les cas favorables, avant de s'engouffrer dans les poumons pour provoquer de graves insuffisances respiratoires. Les 350 médecins de la ville qui peu à peu se mobilisent perdent du temps à comprendre ce qui se passe car aucun d'entre eux n'a été informé sur la nature exacte du gaz isocyanate de méthyle et des dangers qu'il présente.
3828 personnes décèdent le soir même.
La catastrophe fera 362 540 victimes.
Dès le 6 décembre, l'usine a été fermée et on a entrepris son démantèlement.
30 problèmes de sécurité majeurs avaient été négligés par le PDG Warren Anderson, il fait maquiller la plupart d'entre eux et n'accepte que des inspecteurs ne viennent sur les lieux que le 20 décembre.

Du temps de l'activité de l'usine, des déchets avaient été enfouis dans le sol, sans protection. Aujourd'hui encore, ces déchets se répandent dans les nappes phréatiques, empoisonnant l'eau puisée par les habitants aux alentours. Environ 30 personnes meurent chaque mois de cette toxicité, mais rien n'est fait pour nettoyer l'usine, où les déchets traînent à ciel ouvert, et que les enfants des bidonvilles utilisent comme terrain de jeu.
Des compensations furent accordées à quelques familles pour éviter des plaintes, et la majorité des survivants continuent de vivre aux abords d'un site toujours toxique. Union Carbide a versé 470 000 000 $ mais continue de refuser d'accepter la responsabilité parlant plutôt de sabotage.
Chaque victime a reçu environ 500 $.

Warren Anderson a été accusé d'homicide par les autorités indiennes mais s'est sauvé.
Il se la coule douce à Long Island ayant vendu l'usine à Dow Chemical qui a laissé le site à l'abandon.