En 2008, Wall Street s’était clairement positionnée en faveur d’Obama. L’emblématique Goldman Sachs et ses employés étaient même le second donateur de sa campagne.
Quatre ans après, changement d’allégeance, bien que Wall Street ait été fortement impliqué dans son propre sauvetage par l’Administration démocrate au début du 1er mandat, les banques ont majoritairement soutenu le candidat Romney.
Avec l’élection d’Obama, le renforcement de la réglementation bancaire va se poursuivre pour stabiliser le système, favoriser la transparence et la responsabilité des dirigeants et pour protéger le consommateur mais aussi le contribuable qui a payé ces sauvetages financiers.
L’élection d’Obama confirme le changement de paradigme pour les banques
Sous le 1er mandat d’Obama, le modèle de financement à fort effet de levier a été remis en cause, les exigences en capital ont augmenté pour une meilleure couverture du risque, les bonus des banquiers ont baissé et ceux-ci se sont sentis victimes d’une stigmatisation de la part de l’opinion publique et des pouvoirs publics, à l’instar du président évoquant les « fat-cat bankers » dès fin 2009.
Autre sujet de crispation, le renforcement de la réglementation avec la loi Dodd-Franck de juillet 2010 qui vise à réformer en profondeur le système financier américain pour préserver sa solidité en s’attaquant aux risques systémiques. Les banquiers estiment que l’Administration Obama ne les a pas consultés en amont et voient dans cette loi des coûts supplémentaires et surtout un important manque à gagner. Si Romney promettait la remise en cause d’une réglementation qu’il juge « excessive », l’élection de Barack Obama ne laisse plus de doute sur la mise en application du texte.
La partie de la réforme peut-être la plus contestée et la plus emblématique (si l’on en juge par le nombre d’articles parus sur le sujet) est la Volcker Rule. Celle-ci interdit le « proprietary trading » sur le territoire américain et par les grandes banques qui y collectent des dépôts (et leurs filiales) et prévoit aussi de fortes restrictions pour ces institutions en ce qui concerne la détention ou l’investissement dans des hedge funds ou des fonds de private equity. Parmi les objectifs principaux, il y a la volonté du législateur d’éviter de financer des actifs risqués par des dépôts garantis par l’Etat Fédéral.
Que prévoit la Volcker Rule sur le « proprietary trading » ?
La Volcker Rule va bien au-delà de l’interdiction de l’activité dédiée de trading pour compte propre car elle établit aussi des restrictions majeures aux activités de market making, underwriting, hedging et trading pour le compte de tiers (voir fig. 1). Elle prévoit en effet que les institutions qui collectent les dépôts et bénéficient à ce titre d’une garantie explicite de l’Etat Fédéral ne seront plus autorisées à prendre des positions en tant que « principal » sur leur trading book (afin de bénéficier de mouvements de prix à court terme sur l’inventaire détenu) mais pourront seulement le faire pour servir leur clients, sous peine d’être considérées comme effectuant du « proprietary trading ». Les banques doivent donc être en mesure de prouver l’objectif économique de chaque transaction ou couverture sur les marchés.
Fig. 1 : Points saillants de la réforme
La réforme n’empêche donc pas les banques de continuer de fournir des prestations nécessaires d’intermédiation sur les marchés mais selon des modalités plus restrictives et aussi sous réserve de respecter comme prérequis certaines mesures de sauvegarde réglementaires visant à assainir le système (« prudential backstops ») et à réduire le risque systémique.
Pour les banques, les chantiers sont importants et les activités de trading seront moins rentables
La Volcker Rule introduit de nombreuses obligations en matière de conformité (cf. Fig. 2). Celles-ci représentent un coût conséquent pour les banques qui voudront s’adapter aux prescriptions de la règle pour poursuivre leurs « activités autorisées », coût que les plus petites banques auront du mal à absorber. Celles dont les avantages comparatifs sont les plus faibles pourraient même abandonner ces activités.
Fig. 2 : Obligations de compliance de la Volcker Rule
Au-delà des prescriptions de la règle en termes de compliance qui mèneront aussi naturellement à un renforcement de la Fonction Contrôle Interne, les banques sont largement amenées à se réorganiser. La plupart des grandes banques américaines ont ainsi déjà fermé leur desk dédié au proprietary trading en anticipation de l’interdiction mais le principal impact attendu concerne les restrictions sur les « activités autorisées ».
Fig. 3 : Impacts de la Volcker Rule sur les activités de trading
Dans quelle mesure les banques non-américaines seront-elles impactées ?
A priori, on pourrait penser que les banques étrangères pourraient être relativement avantagées sur le marché par rapport à leurs pairs américains si les Régulateurs américains développent une réglementation plus restrictive. Sous réserve d’adapter leur structure juridique, elles pourraient alors être autorisées à spéculer pour compte propre et surtout bénéficier d’avantages et de revenus complémentaires sur les « activités autorisées » en dehors des Etats-Unis. Cependant, les conditions d’exemption sont extrêmement restrictives.
Fig. 4 : Conditions d’exemption à la Volcker Rule sur le « proprietary trading » pour les banques étrangères
L’objectif est de limiter la portée extraterritoriale de la règle tout en préservant une concurrence équitable entre les banques américaines et étrangères mais aussi en évitant de créer des brèches dans la réglementation. Cependant, malgré l’absence d’autorité des Régulateurs américains à l’étranger, les « prudential backstops » s’appliquent théoriquement. De plus, la règle comporte des effets secondaires pour les banques étrangères qui conduisent leur activité dans d’autres pays depuis les US (notamment Amérique Latine, Canada) même si aucune contrepartie américaine n’est impliquée.
Finalement, les banques étrangères pourraient in fine être amenées à choisir entre l’accès au marché américain (filiale ou succursale) et l’obligation de se conformer à la Volcker Rule à l’échelle mondiale en respectant les obligations contraignantes de compliance et de reporting.
Pour autant le texte n’est pas finalisé et le lobbying continue aussi sur les activités non américaines des banques étrangères. The Institute of International Bankers défend ainsi l’idée que la Volcker Rule devrait être ainsi construite qu’elle ne s’applique pas si le trading a lieu offshore et ne met pas en péril les investisseurs américains ni le système financier.
CONCLUSION
La Volcker Rule devait entrer en vigueur en juillet 2012 (avec une période de transition de 2ans, reconductible) mais sa mise en œuvre a été reportée à la fin de l’année compte-tenu de la complexité à définir les conditions d’application (plus de 2 000 commentaires et demandes d’exemptions reçus par les Régulateurs menant à une version finale de plus de 300 pages à décrypter par des juristes), du nombre de critiques du secteur bancaire (fort lobbying) et venant de l’étranger (UE, Japon, Canada et UK notamment qui ont exprimé leurs craintes sur la liquidité de leurs obligations souveraines) et enfin du temps nécessaire aux banques pour mettre en adéquation leur gouvernance, leur organisation, leurs systèmes et leurs reportings. La finalisation des décrets d’application par les 5 agences fédérales indépendantes (OCC, SEC, Fed, CFTC, FDIC[1]) pour préciser les exigences opérationnelles est attendue très prochainement.
[1] : OCC : Office of the Comptroller of the Currency, SEC : Securities Exchange Commission, Fed : Federal Reserve, CFTC : Commodity Futures Trading Commission, FDIC : Federal Deposit Insurance Corporation
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