Pyongyang remet sur le pas de tir Unha 3 pour répondre à une triple équation : internationale, régionale et de politique intérieure.
Kim Jong-un est entré dans une épreuve de force avec la communauté internationale. © Ed Jones / AFPIl est de bon ton d’affirmer que la Corée du Nord est un État voyou imprévisible guidé par la démence tyrannique des Kim. L’annonce par Pyongyang, samedi, du lancement prochain d’une nouvelle fusée démontre en tout cas que les stratèges nord-coréens ont la tête bien sur les épaules et un art consommé du timing. Sur le plan stratégique comme tactique, la décision fracassante de remettre sur le pas de tir leur fusée Unha 3 pour placer sur orbite “un satellite d’observation terrestre” répond habilement à une triple équation internationale, régionale et de politique intérieure. En bravant les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, la fusée, qui sera lancée entre les 10 et 22 décembre, vise à marquer des points aussi bien face aux États-Unis qu’à la rivale Corée du Sud, mais aussi à renforcer le prestige du jeune leader Kim Jong-un, un an après son accession au pouvoir suprême. “Ils veulent profiter d’une fenêtre de tir politique”, analyse Paik Haksoon, chercheur au Sejong Institute, à Séoul.D’abord, sur le plan stratégique, Pyongyang joue à merveille avec le calendrier des grandes puissances. Le jeune Kim Jong-un a su patiemment attendre son heure, faisant profil bas pendant les transitions politiques qui se sont déroulées cet automne à Pékin et à Washington. Pour ne pas exaspérer un peu plus son parrain chinois, le dirigeant nord-coréen s’est abstenu de tout coup d’éclat durant le délicat passage de témoin entre Hu Jintao et le nouveau numéro un chinois Xi Jinping.
“Grave provocation”
Surtout, le royaume ermite a observé de près le duel Obama-Romney et s’est bien gardé d’utiliser ses cartouches tant que l’identité du président américain n’était pas connue. Pas question de gâcher de précieuses munitions à perte. Un accord secret aurait même été passé cet été avec la Maison-Blanche pour épargner au président sortant une crise en pleine campagne électorale, affirme la presse sud-coréenne. Ainsi, un mystérieux vol de l’US Air Force avec à son bord un conseiller d’Obama s’est rendu à Pyongyang le 17 août dernier, selon le quotidien Donga Ilbo.
Il faut croire que les espoirs nord-coréens d’un geste d’ouverture en retour ont été déçus. “Obama n’a fait aucune proposition créative pour relancer les négociations. La fusée est un message envoyé à la récente administration pour se rappeler à son bon souvenir”, explique Paik Haksoon. Car dès le lendemain de sa réélection, le président démocrate s’est rendu à Rangoon, un ancien allié de Pyongyang d’où il a appelé le régime nord-coréen à s’inspirer des réformes du printemps birman. Une véritable provocation pour la dynastie des Kim qui redoute plus que tout l’indifférence de Washington.
Le Nord ouvre donc délibérément un énième chapitre de tension avec l’Amérique. Comme prévu, le Département d’État a immédiatement dénoncé le projet de lancement comme une “grave provocation”, soulignant qu’il contrevenait aux résolutions du Conseil de sécurité qui interdisent au Nord l’usage de toute technologie balistique. Pour le Pentagone, la fusée Unha 3 camoufle un test de missile Taepodong 2 d’une portée théorique de 6 700 kilomètres qui pourrait un jour menacer le territoire américain.
Pression
Pyongyang réplique aux accusations américaines en proclamant son droit souverain à l’exploration spatiale “pacifique” et a choisi, là encore, le moment favorable pour justifier ses positions. Car la semaine dernière, sa rivale capitaliste, la Corée du Sud, alliée des États-Unis, a tenté d’envoyer dans l’espace sa première fusée “Naro” développée conjointement avec la Russie. En relançant Unha 3 dans la foulée, le Nord peut souligner à souhait le “deux poids-deux mesures” de la communauté internationale, avec l’appui tacite de la Chine et de nombreux pays en développement.
D’autant qu’en cas de succès d’Unha 3, le jeune leader touchera le jackpot en matière de propagande tout juste un an après son accession au pouvoir. Car la fenêtre de tir coïncide parfaitement avec la célébration du premier anniversaire de la mort de son père Kim Jong-il le 17 décembre, à qui il a succédé. À l’heure où le fossé économique avec le Sud est béant, ce succès technologique face au frère ennemi serait un triomphe pour le jeune Kim, alors qu’il tente d’établir son emprise sur ses 23 millions d’habitants. Les scientifiques nord-coréens affirment avoir corrigé les “erreurs” ayant conduit à l’échec du lancement de la fusée en avril dernier, qui avait explosé au-dessus de la mer Jaune.
Enfin, cerise sur le gâteau, le tir d’Unha 3 permet de provoquer une dernière fois le président sud-coréen Lee Myung-bak, surnommé le “traître” par la propagande, quelques semaines avant la fin de son mandat. Lee, avocat d’une ligne dure face au Nord, a immédiatement accusé le Nord de vouloir brouiller l’élection présidentielle prévue le 19 décembre. Là encore la date choisie pour le tir n’est pas anodine. Cette nouvelle crise dans les relations intercoréennes permet d’accentuer la pression sur les deux principaux candidats à la succession Lee sans pour autant brûler les ponts avec la future administration qui prendra ses fonctions en 2013. “La fusée peut être une façon de faire monter les enchères avant de s’asseoir à la table des négociations l’an prochain”, analyse une source diplomatique occidentale basée à Séoul. Bref, si Unha 3 s’annonce comme un cadeau de Noël empoisonné à la Maison-Blanche, elle est tout sauf un caprice insensé du dictateur le plus mystérieux de la planète.
Source: Le Point