Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse (11) par Patrick Faus
: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
La cuisine de Gilles Goujon est très travaillée, très construite. Presque trop ?
Le chef ressemble furieusement à son auberge. Car ce fut une auberge et Gilles Goujon en a encore l’esprit et le physique. La rondeur avenante du sérieux mangeur, la moustache et le poil conquérant, l’œil vif et la parole douce. En le regardant travailler, diriger, ordonner, vérifier les produits, tâter une viande, renifler un cèpe, conseiller un commis, on voit à travers cet homme une région, un terroir, des saveurs particulières des Corbières, un fumet de gibier, des champignons odorants, des vins puissants et fins à la fois, de la richesse et de la générosité. Gilles Goujon est tout cela. Il a cette force et cette fragilité, cette certitude et ce doute, cet amour du travail, cette obsession de la cuisine qui le tient encore et depuis toujours. C’est cette alchimie qu’il possède en lui qui l’a mené au sommet de la gastronomie française, lui le petit aubergiste de Fontjoncouse.Aujourd’hui, tout a grandi : la salle, les cuisines, le parking, les additions, les étoiles, la notoriété, l’organisation, et peut-être les soucis. Mais, l’homme est si fier de cette récompense suprême qu’il a si longtemps attendu au point de douter par moments de lui et de son talent. La volonté a fait le reste. Un repas chez lui est à la fois simple et sophistiqué. La clientèle chic de la région ou internationale est là mais souvent, à la table à coté, il y a les vieux copains de toujours, vignerons, rugbymen, éleveurs, chasseurs, tous continuent à venir chez Gilles comme avant et cela donne une vie inimitable au restaurant. Le service est à l’unisson, efficace mais simple et souriant, comme le sommelier qui propose des découvertes de certaines bouteilles qui valent le détour, des Corbières ou de la grande région du Languedoc. A Fontjoncouse, on aime et on assume sa région, pour les vins mais aussi pour les fromages avec un plateau exceptionnel et unique dans le nombre de fromages proposés chèvres, vaches, brebis, frais, secs, vrais ou faux bleus, de pratiquement tous les éleveurs du coin. Un véritable patrimoine fromager à lui tout seul !
A table, donc !
Un amuse-bouche étonnant et détonnant qui nous entraîne soudain et d’entrée loin des Corbières. Surprendre, toujours… Tartare d’huître en gelée, Gillardeau perlée et légèrement
En sophistiqué/rustique : Nénuphar de dos et cuisses de grenouilles rôtis, cannelloni d’herbettes, raviolis de petits gris en crème d’aigo boulido, en cressonnière. Mettons un peu d’ordre dans tout cela : remarquable bouillon d’herbes et escargots mais les grenouilles servies sous cuites et à peine tièdes.
En plat emblématique : L’œuf poule Carrus « pourri » de truffes melanosporum sur une purée de champignons et truffe, briochine tiède et cappuccino à boire : joyeux, goûteux, énorme, explosif, réjouissant, puissant et subtil, le cappuccino dément et la briochine tiède qui rend fou… de bonheur. Servi obligatoirement un peu tiède sinon l’œuf coagule.
Les Corbières dans l’assiette : Salade de cèpes sous-bois sous-verre, sot l’y laisse, crêtes de coq, rognon de lapin, en vinaigrette de Banyuls, sabayon au lard fumé, sans commentaires et tout est dit. Magnifique.
Dans les poissons, l’un chante, l’autre moins : Filet de rouget barbet, pomme bonne bouche fourrée d’une brandade à la cébette en « bullinada », écume de rouille au safran, présenté d’une manière un peu tarabisquotée mais surtout remarquable de saveurs puissantes de la Mare Nostrum voisine. Par contre, le Turbotin rosé à l’arête (ça existe encore ?), mousseline de homard, racines d’automne (topinambours) et beurre de maracuja retour d’Antilles est un plat plutôt plat, servi une nouvelle fois à peine tiède.
Gibier de la garrigue : Suprême de palombe de chasse cuit à l’os aux figues des Corbières sur une tartine de béatilles, jus de déglaçage au raisin, belle bête même si les figues donnent un poil trop de sucré. Lièvre à la royale, filet et cuisse juste rôtis et rosés, qui arrive presque noir, évidemment en force et en puissance, évidemment exceptionnel.
Dans le sucré : Carotte confite sur un sablé de noisettes du Piémont, sorbet menthe givrée et réduction de jus de carottes, une idée géniale absolument remarquable de fraîcheur et de goût. Les trois centurions en sucre, fausses capitelles (anciennes cabanes en pierre sèche des Corbières) à la myrtille sauvage, crème glacée façon « cheese cake », le mariage idéal et grandiose du fruit rouge sauvage et de la douceur de la crème.
Point/contrepoint. Chant/contre-chant. Des démons et des merveilles… on vient de les goûter. Les démons (petits) seraient un léger problème de cuisson sur certains plats et surtout de chaud lorsque des assiettes arrivent tièdes ce qui incitent à manger vite et ne donne pas le plaisir de pénétrer doucement dans une recette. Un problème déjà présent l’année dernière lors d’un précédent dîner. La cuisine de Gilles Goujon est très travaillée, très construite, presque trop ? Peut-être par rapport au lieu et à l’esprit de la région. Elle s’éloigne parfois de son terroir, de ses racines pourtant mises en avant, par sa sophistication, la richesse et le foisonnement dans la construction des plats. Une sensation que l’on retrouve aujourd’hui chez un Michel Bras où son Gargouillou de légumes n’est plus généreux mais devient une assiette « tachiste », sans chaleur. Régis Marcon n’est pas tombé dans ce piège. Alors, espérons que Gilles Goujon, le grand homme des Corbières, retrouve ses racines et nous les offre avec son immense talent.
Questions à Gilles Goujon
Quel a été le déclic cuisine chez vous ?
J’avais quinze ans et je faisais des extras pour gagner quatre sous à Béziers. Je faisais le service en salle et je trouvais que les gens étaient heureux d’être au restaurant et ça me plaisait. Avant le service, le chef nous réunissait tous, pour nous expliquer les plats, le service, etc. et tout le monde au garde à vous répondait « oui, chef ! ». Je me suis dit qu’un jour ce serait moi le chef ! C’est parti comme ça.
Comment êtes-vous passé de la pensée à l’acte ?
Il a fallu d’abord convaincre ma mère qui voulait me voir continuer mes études, car j’ai perdu mon père très jeune. Je me suis présenté seul à un premier job et le type était tellement étonné de me voir si jeune et si décidé qu’il m’a engagé et ma mère n’a rien pu faire pour m’en empêcher. C’était l’Hôtel de la Compagnie du Midi qui faisait aussi le buffet de la gare de Béziers. Mon premier poste.
Quels sont les deux ou trois personnages qui vous ont marqué ?
Paul Bocuse qui m’a toujours fasciné même quand je le voyais dans les pubs pour Rosières ! Je me disais que je voulais être comme lui. Je ne savais pas qu’il était si important à l’époque. Maintenant, je sais que c’est le pape et qu’il a tiré la cuisine française et même mondiale vers le haut. Il a fait sortir les chefs des cuisines, les chefs français de France et les chefs du monde entier ont profité de ça. Si les nordiques et les anglais lui tapent dessus, j’aimerais bien avant tout qu’ils nous prouvent qu’ils sont meilleurs que nous !
Et Roger Vergé ?
Mon premier trois étoiles Michelin. Il m’a marqué au fer rouge avec sa cuisine qui était très moderne.
Un troisième ?
Je suis une éponge et je prends beaucoup aux autres. J’écoute beaucoup et je fais mes choix. Alain Ducasse par exemple m’a fait raccourcir ma carte qui était trop longue.
Quelles sont les dates importantes de votre vie ?
Les trois étoiles dans l’ordre. 1997 Meilleur Ouvrier de France. Je voulais tout : MOF et chef-patron. J’avais prévenu ma future femme que la cuisine passerait avant tout… et elle est restée !
Des plats qui ressemblent à Gilles Goujon ?
L’œuf « pourri » de truffes car ce sont les clients qui l’ont « fait ». J’ai toujours aimé travailler l’œuf mais celui-là que j’ai créé il y a huit ans a été un véritable succès et je ne peux plus l’enlever.
Le rouget, car c’est moi qui l’ai fait. C’est un plat fort, riche, d’ici… et les parisiens aiment moins.
Ce fut long pour obtenir votre troisième étoile…
J’ai douté à une époque. Quand le moléculaire est arrivé, je me suis dit que j’étais ringard ou dépassé. Je me suis vite rendu compte que le moléculaire en trois jours on le maîtrise et que ça n’irait pas loin. Je me suis remis sur ma propre cuisine et sur ce que je sais faire. Ça a marché. Il faut toujours aller jusqu’au bout de son travail et de ce que l’on a envie de faire.
Auberge du Vieux Puits (*** Michelin)
13360 Fontjoncouse
Corbières France
Tél : 04 68 44 07 37
[email protected]
www.aubergeduvieuxpuits.fr
Fermé du 2 janvier au 11 mars
Fermé dimanche soir, lundi et mardi jusqu’au 19 juin
8 chambres de 225 à 295 €
Menu : 70 € (déjeuner en semaine) – 135 € – 160 €
Carte : 140 € environ