[note de lecture] "Cet être devant soi" de Claude Chambard, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

 
Dans la collection écri (peind) re chez Aencrages& Co paraît ces jours-ci  cet Etre devant soi, le beau livre si fragile et si fort de Claude Chambard.  
Entre poème et prose l’écriture se retourne lentement sur elle-même pour se réfléchir et réfléchir à toutes ces questions terribles que Claude Chambard, depuis longtemps, ne lâche pas… Le « nécessaire malentendu » qui sous-tend toute son œuvre est ici comme éclairé parce quelque chose de l’ordre d’un rythme, celui d’un chant. « Elle », ce ou ces personnages changeants, mystérieux, provoque ce chant : « très doucement puis de plus en plus fort c’est le chant de l’irrémédiable, détaché et cependant frémissant, trépidant. Il efface en moi les montagnes de cendre, les masques de papier mâché & et la nuit qui tente de me submerger. Je peux enfin me reposer. » 
Le plus souvent pourtant c’est l’autre qui dort et lui veille, se souvenant de l’amour et de l’enfance, avec sa cabane et ses indiens et aussi l’injonction d’un grand-père très aimé qui lui a laissé cette magnifique injonction « ne laisse pas gagner les salauds ! » Immense part de l’enfance dans le travail de Claude Chambard, immense part des amis, immense part de la si ténue et si essentielle possibilité de rapprocher le corps aimé du sien, et encore plus immense part, peur et amour de l’écriture, la sienne, celle des écrivains qu’il lit…  « C’est ce jour-là sans doute que j’ai compris que pour écrire il fallait soutenir l’autre, le regarder, l’empêcher de tomber. L’autre, cet être devant soi. » 
« L’écriture a pris le dessus mais n’a jamais pu remplacer les jouets de l’enfance, le motif dans le tapis scruté pendant des heures, tissé &et retissé jusqu’à l’usure du regard », la faille et la défaillance sont là, béantes… « Qu’est-ce qu’un souvenir m’as-tu demandé » et ceci n’est pas une question, juste quelque chose qui échappe des lèvres quand on pense pour soi-même à voix haute…« Qu’allons-nous faire ?/Comment allons-nous redistribuer la mémoire ? » est la même question égarée, celle qui nous ramène toujours au livre, celui qui manque dans la bibliothèque, celui qui ne sera plus sur papier, perdu dans la nuit numérique sujette à toutes les pannes. 
« Elle » est aussi certainement la mauvaise fée qui a terrifié dans le noir de l’enfance et les encres d’Anne-Flore Labrunie mangent, déchirent et noient alors la page et ouvrent la suivante sur le sommeil des enfants protégés, les petits lits faits, à l’abri. 
C’est vrai « les peintres et les écrivains n’ont pas de secret/ ni celui de la souffrance/ni un autre », surtout ils n’en ont pas le monopole et ne détiennent aucune vérité. Cette posture si abandonnée, pleine de douceur laisse venir « la langue de l’oiseau », quelque chose de plus léger affleure, « je tombe à tes pieds nus, je suis pris de vertiges, tu parles de douceur & et de silence, tu poses ton pied frais sur ma tempe … j’entre dans ta langue ». 
Il reste tant à faire, « je n’ai pas assez lu… », les proses se font si merveilleusement poétiques, le jardin est un peu envahi de mauvaises herbes mais on va faire quelque chose, l’album de photos n’évoque d’abord rien puis peu à peu surgit le petit peuple de chacun, et il faut écrire tout cela, « nos catastrophiques ratures » et un beau livre comme celui-ci. 
 
[Isabelle Baladine Howald] 
 
Claude Chambard, Cet être devant soi, avec des encres de Anne-Flore Labrunie, Aencrages &Co, 2012.  feuilleter quelques pages de ce livre