Schumpeter est curieusement négligé dans la théorie économique. Certes, on lui accorde la révérence intellectuelle lors des premiers cours d'histoire de la pensée économique, et le plus souvent les choses s'arrêtent là. C'est qu'il est bien moins confortable que le modèle standard (classique, néo-classique, monétariste ou libéral) et que ses challengers (modèle marxiste d'un côté, modèle keynésien de l'autre). Inclassable, et surtout peu utilisé. Et pourtant, nécessaire pour ce XXI° siècle.
1/ Schumpeter part de la situation laissée par Walras : celle d'un équilibre général qui a le grand défaut d'être stationnaire. Or, la théorie classique n'a jamais vraiment creusé les choses pour déterminer les causes du mouvement économique. Elle est utile à un moment donné pour comprendre comment s'équilibrent les prix (des biens, des capitaux, des services, du travail, ...). Mais c'est extrêmement partiel, et cette limite ne semble pas gêner les théoriciens, alors qu'elle est pourtant essentielle. Le sujet devient de plus en plus nécessaire en ces temps de mondialisation et de cyberespace.
2/ Joseph Aloys Schumpeter propose une analyse dynamique, grâce à la figure de l'entrepreneur capitaliste. C'est lui qui bouleverse cet équilibre stationnaire, grâce à sa volonté de créer du profit. C'est lui qui modifie les conditions économiques : par la technologie ou de nouveaux modes de production ou d'échange, peu importe. De là vient la fameuse "destruction créatrice", essentielle pour justifier la croissance. Elle seule permet d'expliquer pourquoi nous sommes plus riches aujourd’hui qu'il y a une ou deux générations, et pourquoi nous vivons mieux. Usuellement, on utilise le "progrès" ( ou ses mots équivalents : science, technologie, R&D, ...) pour justifier la "croissance". L'explication est un peu courte, car elle ne se réfère pas à un acteur. Le génie de Schumpeter fut de s'intéresser à un acteur, humain, et non à des catégories (certes d'apparence scientifique et "modélisables") comme le travail ou le capital.
3/ La deuxième innovation de Schumpeter fut de constater, en conséquence de cette "destruction créatrice", l'évidence des crises dans le modèle de développement du capitalisme. Il en tire la conséquence d'une cyclologie économique (avec les fameux cycles de Krondatieff, Juglar et Kitchin : volontés de controuver empiriquement ce que suggérait la théorie). Pourtant, ce n'est pas cette cyclologie qui est la plus convaincante. En revanche, expliquer pourquoi le capitalisme vit de crise en crise, voilà le grand apport de Schumpeter, voilà aussi en quoi il est plus convaincant que Marx. Pour Marx en effet, les crises ne sont que des manifestations d'une crise générale d'opposition entre classes, ce qui réduit l'origine de la crise à un facteur unique, de dimension "historique" donc contingente. Alors que l'explication de Schumpeter est non contingente, mais substantielle à la destruction créatrice. (je me souviens d'un article d'il y a quatre ans de M. Aglietta qui expliquait que le capitalisme vivait de crises en crises : celle-ci n'est pas une exception, elle est une normalité).
4/ Toutefois, Schumpeter attribue au seul entrepreneur le mérite de la destruction créatrice. On peut voir pourtant de multiples facteurs : démographie, transports, progrès de la connaissance en font partie. Ce qui pose la question : comment trouver un facteur explicatif à ces dynamiques de changement ? Et comment lier cette théorie de la dynamique avec la théorie de l'équilibre, qui demeure pertinente localement ?
Nous y reviendrons quelque jour prochain...
Réf :
- Réfrences pour préparants
- Lien entre la crise et la géopolitique
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O. Kempf