Je crois qu'en trois ans de couple avec mon chéri, j'ai dû me dire au moins 1598 fois très exactement : « Punaise, il est trop con, la prochaine fois, je le quitte ». Et la prochaine fois, ça n'était que la 1599 ème fois que je me dégonflais. Encore.
Pourquoi, au juste ? Est-ce que je ne suis qu'un pauvre ballon qui se vide de tout courage dès qu'on plante une aiguille dedans ? Est-ce que je suis lâche ? Bah, très certainement, quand même.
Quand j'ai appris que ma cousine, de 26 ans, avait largué son copain avec qui elle était depuis 8 ans, alors qu'ils avaient tenté de mettre un bébé en route, alors qu'ils vivaient ensemble depuis longtemps et qu'ils me paraissaient, à moi, être un couple dur comme le roc, le couple immuable qui ne rompra jamais... J'ai été un peu jalouse. Je me suis dit « Putain, ma cousine elle a des cojones de folie, quand même ». J'aurais bien aimé être comme elle. Prendre ce genre de décision, même si ça paraît souvent soudain à la personne en face, c'est beaucoup de réflexion. Ça commence à mijoter dans notre esprit avant même qu'on ne s'en rende vraiment compte. On le fait pour une raison et cette raison ne nous apparaît pas en deux secondes : elle pousse comme une graine, et quand c'est enfin un gros arbre que nous avons à l'intérieur de nous, nous finissons par le couper et nous en aller. Moi, je n'ai pas ce gros arbre. J'ai souvent eu l'impression de l'avoir, de vouloir péter mon câble, hurler et casser des assiettes et partir en claquant la porte. Mais je suis encore là, avec mon amoureux, et je lui dis que je l'aime.
Certains, durant toute leur vie, n'ont pas cette rancœur, cette bonne raison de partir qui poussent en eux. Ils ont de la chance.
Mais quand c'est le cas, pourquoi c'est aussi dur de quitter la personne qu'on aime ? Si, dans ma tête, je me dis que je craquerais forcément un jour, pourquoi ai-je la lâcheté de ne pas arrêter tout de suite, plutôt que d'attendre la fin, celle où on aura envie de se taper dessus et où on se lancera des « morue ! » et « espèce de sale coup qui bande mou » ou encore « de toute façon, tes pattes aux lardons, je les ai toujours trouvées dégueulasses, peuuuh ! » ?
Je me dis que finalement, tant que nous n'en sommes pas au point de non-retour, ça n'existe peut-être pas. Ma cousine a pris une décision, elle a atteint la limite, elle est partie. Si elle n'avait pas atteint cette limite, elle n'aurait peut-être pas eu le courage de partir de suite, aussi mal aimée se sente-t-elle. Parce que sans la limite, on se dit que peut-être cette limite ne sera jamais atteinte, et on tente.
Peut-être que l'arbre, il va vieillir, se ratatiner sur lui-même, et disparaître, et qu'un jour une jolie fleur poussera dessus et que tout sera arrangé et j'aurais même pas eu à me mouiller et à larguer la personne que j'aime. Peut-être que ce scénario tout droit venu du pays des malabars arrivera un jour. Peut-être qu'il faut que j'arrête de regarder Grey's Anatomy et que je me rende compte qu'en vrai, les gens ne se remettent pas ensemble à tout bout de champ.
Tellement de « peut-être ». Mais des « peut-être » qui me bloquent. Ce ne sont pas des sources sûres. Alors que mon amour réciproque pour mon amoureux, c'est une source sûre. Même s'il est con, qu'il a dix ans d'âge mental en moins que ce que dit son âge physique, qu'il a autant de libido qu'un pot de fleur, qu'il est parfois tellement ennuyeux à ne rien vouloir faire que j'aimerais le gifler et le secouer comme un saladier, que je desépère de le voir un jour quitter la maison de sa môman et s'engager réellement avec moi... Je l'aime encore, et la limite n'est pas atteinte.
J'attends de craquer, d'atteindre cette limite. Parce que ce n'est pas si simple, de quitter les gens qu'on aime. Ce n'est pas si simple de changer de vie, de foutre au placard toutes ces choses qu'on a vécues pour en vivre d'autres différentes avec d'autres personnes et dans d'autres endroits. Ce serait comme se jeter soi-même au placard pour se créer un nouveau « moi ». Il y a sans doute une grande part de peur, cette peur de l'inconnu qui me dévore. Quand j'étais célibataire, je refusais d'avoir un copain. Je réfléchissais et je me disais que ça me ferait sacrément chier qu'une personne arrive, comme ça, et que je doive lui consacrer de mon précieux temps, arrêter ou moins faire certaines choses pour le voir, changer mes habitudes, devoir discuter avec quelqu'un, entretenir le lien... Je me disais que franchement, pourquoi on se prend le chou avec ça alors que c'est chouette de faire de l'ordi toute la soirée et de dormir tout le samedi après-midi en revenant du lycée. Et mon amoureux est arrivé, et je me suis habituée à de nouvelles choses. Et c'est incontestable, j'ai changé. Je suis toujours moi, mais ça m'a transformée, d'avoir quelqu'un dans ma vie, d'apprendre le compromis, le sacrifice, le plaisir, la vie de couple. Mon copain, avec son manque de tact, ses leçons de morale, son expérience, m'a faite grandir. Je suis fière de la personne que je suis maintenant. Je m'égare, je suis très loin du sujet initial, je sais, tapez-moi les doigts. Je voulais seulement tenter, maladroitement (on en conviendra) de dire que quitter quelque chose ou quelqu'un d'important, changer de vie, revient forcément à laisser derrière une petite partie de nous-mêmes, et que ça, ça fiche un petit peu les chocottes je trouve.
Tout ça pour dire que c'est facile de dire qu'on va quitter quelqu'un, c'est facile de dire qu'on l'oubliera vite et qu'on ira bien mieux, mais une fois qu'on est dans les bras dans cette personne et qu'on ne voit aucune limite en vue, on n'a pas envie de tout lâcher.
En fait, la base de tout ça, c'est l'espoir. L'espoir de ne jamais voir la couleur de cette fichue limite. Ce n'est pas une peur irrationnelle, je trouve. C'est imaginable. Tout comme on peut avoir l'espoir de ne jamais avoir de cancer ou d'accident, de trouver un boulot, d'avoir des enfants... On peut avoir l'espoir que la limite ne soit qu'un lointain concept, et que ça continue à aller bien. C'est, à mes yeux, loin d'être impossible. Peut-être que ça passera, peut-être pas. Mais je n'y suis pas encore.
Avez-vous déjà atteint la limite ? :)