Nous vous livrons la seconde et dernière partie de l’entretien que la star congolaise de la rumba, Koffi Olomidé a eu avec la rédaction de Top Visages, lors de sa visite dans nos locaux le lundi 29 octobre dernier. Après s’être prononcé sur ses déboires avec la justice, le grand Mopao revient ici sur sa carrière, sa place dans la musique congolaise et surtout sa relation avec la chanteuse Cindy Le Cœur… Silence, le professeur se met à table.
• Tu es revenu à Abidjan avec une nouvelle chanteuse qui t’accompagne. Qui est-elle réellement pour toi ?
- Elle s’appelle Cindy Le Cœur. C’est une voix chantante à laquelle je suis très attaché. Moi et le public aussi.
• ça veut dire quoi attaché ?
- Ah, c’est aux Ivoiriens que je vais apprendre à parler français ? C’est moi qui vais expliquer «attacher» aux Ivoiriens ? Voilà ! attacher, c’est attacher. N’y a-t-il pas de dictionnaire ici ? Bon, ça veut dire qu’on tient à cette voix, on compte avec, on se sent emporté, on n’a pas envie de se passer de cette voix qui incarne aujourd’hui un charisme, qui a quelque chose d’attachant… On n’a pas le choix. Cindy Le Cœur a un contrat de cœur et professionnel avec le Quartier Latin. Elle est payée au Quartier Latin, et elle aime le Quartier Latin. Elle était un fan du Quartier Latin et de Koffi Olomidé. Elle a grandi avec. (Rires)
• Par rapport à cette voix, à quel moment l’apprécies-tu ? Sur la scène ou en dehors ?
- Je l’apprécie tout le temps.
• Sur la scène, Cindy joue un rôle que d’autres ont joué bien avant elle, notamment Fally Ipupa. Quelle est la différence entre Fally et Cindy ?
- Elle est de loin plus forte, plus charismatique, plus respectée. Peut-être qu’on ne s’en rend pas compte parce qu’elle est dans le Quartier Latin. Mais elle est capable de voler de ses propres ailes. Ce que je ne lui souhaite pas. Je lui souhaite de profiter encore et encore de l’encadrement de Koffi Olomidé, le maître, le professeur des élèves. Elle est de loin supérieure à tous ceux qui ont travaillé au paravent avec moi. Un jour, elle a dit ceci à la télévision congolaise : «ces gens-là qui sont devenus stars et qui sont partis sans dire merci ni aurevoir, qui ont trahi Koffi, ont été dans le Quartier Latin avant mon arrivée.» Aujourd’hui encore, il y a de très très bons chanteurs dans le Quartier Latin. Ils sont ici avec moi et ils n’ont rien à envier aux autres. Vous savez, les gens font toujours le choix. Même entre plusieurs bons journalistes, les gens ont toujours une préférence. Cindy Le Cœur est aujourd’hui la préférée des voix chantantes dans le Quartier Latin. Elle a aussi dit ceci : «si ces gens qui sont partis m’avaient trouvée au Quartier Latin, ils ne seraient pas les stars qu’ils sont devenus aujourd’hui.»
• Elle joue pour toi le rôle que jouait Mbilia Bell pour Rochereau ?
- Non, non, non ! Mbilia, c’est la maman de Cindy. Rochereau, c’est mon père. Ça n’a rien à voir. Je refuse d’être comparé à Rochereau. Cindy chante les mélodies de Koffi. Tout ce que vous entendez, c’est Koffi. Rochereau et Mbilia, vraiment respect pour eux ! Cindy reste Cindy. On l’appelle ‘’la reine des reines, la reine star’’.
• Es-tu sûr qu’elle ne partira pas un jour ?
- Vous savez, rien n’est éternel. Mais l’essentiel est de rester débout le plus longtemps possible. Je ne me fais pas d’illusion.
• Est-ce que le jour qu’elle partira, tu le considéras comme une trahison comme tu l’as dit pour Fally ?
- Ecoutez, il y a mille façons de partir. On peut demander sa feuille de route, sortir par la porte par laquelle on est entré. Mais quand j’emmène un chanteur que j’adule, que je mets au devant de la scène en Europe en tournée, et après il fuit et il dit qu’il est star, ce n’est pas propre. C’est ce qui s’est passé avec certains…
•… Dont Fally ?
- Vous êtes des experts. Demandez aux uns et aux autres comment ils sont partis de chez Koffi Olomidé. On vous envoie en mission et vous fuyez. C’est quelle star ça ? Il faut savoir affronter la difficulté. Vous savez, quand on veut partir de là où on a commencé, on dit «merci», j’ai eu ma dose, maintenant je vous demande la bénédiction pour voler de mes propres ailes. On ne va pas vous le refuser.
• Il t’arrive souvent de regretter le départ de certains de tes musiciens ou chanteurs ?
- Non. Voyez le Quartier Latin aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, le Congo, c’est la maternité de la musique en Afrique. Toutes les musiques qu’on écoute aujourd’hui, qu’elles soient ivoirienne, nigériane, camerounaise, elles contiennent toujours une source congolaise. Ce n’est pas parce que je suis congolais que je le dis. Je le dis parce que c’est vrai. Il n’y a rien au Congo que quelqu’un d’autre a fait et que je n’ai pas fait. Au contraire, on essaie de refaire ce que j’ai déjà fait. Je n’ai vraiment rien à envier et je n’ai pas de regret. Ce n’est pas mon style.
• Qu’en est-il de tes démêlés avec la justice française ?
- Je n’ai pas de démêlé avec la justice française. On a porté plainte contre moi à la régulière, et je me défends, c’est tout. Je crois qu’il y a ce qu’on appelle la présomption d’innocence. Ecrivez que je vais gagner ce procès parce que je n’ai pas fait ce dont on m’accuse. Et tout le monde le sait. Voilà !
• Au Congo aussi, il y a eu la bastonnade de ton producteur…
- (Il coupe) Vous savez, moi, je suis un sportif qui a du tempérament. L’affaire est réglée. On a fait appel et j’ai déjà été acquitté. J’étais condamné à trois mois avec sursis. Mes avocats ont fait appel et au moment où je vous parle, j’ai déjà obtenu l’acquittement total.
• Tu es donc libre maintenant ?
- Je n’ai jamais cessé d’être libre (rires).
• Ce qui est surprenant, c’est que Koffi porte des coups à quelqu’un, de surcroit son producteur…
- Oh, on ne va pas refaire le procès. Il y a eu un tribunal et j’ai été renvoyé à la maison avec un sursis. On n’était pas content parce qu’il n’y avait aucune preuve de ce dont on m’accusait. Mes avocats ont fait leur boulot et au moment où je vous parle, j’ai été acquitté. Il n’y a même plus le sursis.
• Finalement, on accuse Olomidé pour rien ?
- Oui, à tort !
• Pourquoi ?
- Parce que je suis Koffi. Le problème de Koffi, c’est Koffi. Je pense que si je n’avais pas été Koffi Olomidé, moi aussi, j’en voudrais à Koffi. Ce n’est pas normal d’être depuis trente ans numéro un. C’est pas normal ! Quelque part, c’est frustrant pour les concurrents. Ça, je le comprends. Ce n’est pas une formule, je le dis sincèrement. Un concert à 25.000 FCFA l’entrée et seulement deux jours de promo à la télé, sans panneaux et je remplis le Palais des Congrès de l’Hôtel Ivoire. Quel autre artiste congolais peut le faire ? C’est tout cela qui énerve les autres. Vous avez parlé tout à l’heure de mon petit David Monsoh. Je l’ai connu à Sonodisc où il travaillait. On lui a dit de s’occuper de tout ce qui me concernait et il a beaucoup fait pour moi, c’est vrai. C’est vraiment un bon petit frère. Mais je n’ai pas compris pourquoi, il s’est énervé et il veut me combattre aussi. Et visiblement, il n’y arrive pas. Il n’y arrive pas surtout parce qu’il n’y a rien. C’est difficile de combattre quelqu’un sans raison.
• Avant Abracadabra, beaucoup de gens disaient aimer le Koffi d’avant. Pourquoi as-tu abandonné le Koffi d’avant pour faire ce que tu as fait entretemps ?
- Avant Abracadabra, il y a eu l’album sans nom, l’album du patron que beaucoup n’ont pas écouté. Les chansons comme “Nenel”, “Soupou, “Bébé goût” n’ont pas été suffisamment écoutées. Je sais, par expérience, que comme dans votre pays, vous ne comprenez pas la plus belle langue d’Afrique qui s’appelle le lingala, beaucoup ne comprennent pas mes chansons. Alors que ce qui fait la force de Koffi Olomidé, ce sont les textes, l’agencement des phrases. Mais dommage pour ceux qui ne comprennent pas le lingala. Mais déjà avec les mélodies, j’ai pu devenir ce que je suis. Si on écoute à la lettre mes albums, on verra qu’il n’y a rien qui a changé. Sinon, qu’il y a beaucoup plus de monde dans mes productions qu’avant. Au Congo, c’est beaucoup plus. Il y a beaucoup d’artistes mais parmi ceux qu’on voit le plus à la télé, il y a Koffi Olomidé, Zaïko Langa Langa.
• Tu es d’accord qu’à un moment donné, des gens se plaignaient du fait que tu a changé de style ?
- Les gens le disent il y a 10 ou 15 ans. Chaque fois que j’ai un album, les gens ont tendance à dire que l’album d’avant est meilleur. Il faut toujours deux ou trois mois pour que les gens adoptent les albums de Koffi, un peu comme les bouquins de Montherlant, Jean-Jacques Rousseau pour lesquels il faut du temps pour bien les appréhender. (Rires). Je ne me compare pas à ces illustres écrivains mais je compare mon œuvre aux leurs. Nuance ! C’est comme ça que je suis. Koffi est toujours resté le même.
• Il n’y avait pas beaucoup d’atalaku dans ta musique. Le « bruit », ça répond à un but commercial ?
- Donc, vous êtes en train de dire que la musique ivoirienne actuelle, c’est du bruit ? Parce qu’il n’y a que des atalaku. Il n’y a plus les Missouwa de Monique Séka. Moi j’ai pleuré pour un slow d’Ehui Meiway (M’Papa : Ndlr) même si je ne comprends pas la langue. Il n’y a plus cela. Depuis trois semaines que je suis là, je n’ai pas entendu une chanson émouvante. Je n’ai entendu que du ‘’congolisme’’. Maintenant, il y a des gens intelligents, qui ont de la stratégie. Un jeune comme Arafat est puissant. C’est tout à son mérite. Mais qui peut me chanter une chanson d’Arafat ?
• C’est une question de génération.
- Faut pas me dire cela. La musique a le droit d’être variée. Mais il ne faut pas me couper la tête à moi pour une chose pour laquelle on ne coupe pas la tête aux autres. Ecoutez Abracadabra, ma dernière livraison. Je suis un chanteur. Mon truc, c’est chanter, toucher le cœur des gens. Au Congo, on m’appelle «le réparateur des cœurs brisés».
• Est-ce de la provocation ? Certains titres de tes albums sont un résumé de ce que les autres ont fait, mais en mieux. La chanson ‘’Bendélé’’, par exemple, est un résumé du couper-décaler. Où tu dis : «bla-bla-bla, tu parles beaucoup comme un perroquet oh…».
- (Il intervient) Ce n’est pas moi, c’est l’animateur qui le dit. Là, je vais faire un morceau avec Arafat DJ dans son studio. J’en prévois également avec Bébi Philip. On dit que Top Visages est le journal de M. Tonga. Mais il y a des articles qui viennent de ses collaborateurs. L’atalaku (l’animateur) vient de chez lui avec quelque chose qu’il apporte au groupe. Il ne faut pas croire que tout de A à Z vient du chanteur. J’ai vu un film sur Arafat DJ chez Hamed Bakayoko. En plein concert, ses danseurs qu’il avait chassés sont venus le retrouver sur la scène. J’ai trouvé que ceux-là qui étaient avec lui avant font quelque chose qui fait Arafat aussi, quelque chose qui contribue au phénomène Arafat. C’est normal. Donc comprenez aussi que les Atalaku de Koffi apportent aussi des choses comme ‘’Bla-bla’’ comme vous le dites. Pour moi, Bendélé n’est pas une chanson, c’est une animation. Et chez nous au Congo, l’animation, c’est ce qu’il y a de plus facile à faire. C’est ce que vous appelez ici couper-décaler. Chez nous, ce ne sont pas des chansons. Dès que tu mets un rythme, un atalaku du Congo peut commencer à dire tout ce qu’il veut dessus.
• Pour revenir à la question, est-ce que Koffi fait de la provocation ?
- Moi, je fais mes chansons et je ne le fais pas par rapport à quelqu’un. J’ai un compte à rendre à mon public qui est partout. Je ne le fais pas par rapport à un autre artiste. Je ne fonctionne pas comme cela. On m’appelle au Congo ‘’Mopao Mokonzi’’, c’est-à-dire Mopao, le chef. Du chef de l’Etat à l’homme de la rue. Mais moi, mon chef, c’est le public.
• Il y a certaines critiques qui disent que tu lances des piques aux autres. Chose qu’on retrouve évidemment dans la musique congolaise. Surtout dans la chanson où tu parles de «l’amant de ma mère»…
- Je dis que l’amant de ma mère, je l’appelle papa. C’est un adage de chez nous. Je dois dire ici que je ne suis pas parfait. Je suis un homme normal. J’ai des sensations, je m’énerve, je ris, je suis triste, je suis heureux…Il est arrivé que je faute, mais on ne peut pas dire que la caractéristique de ma vie depuis trente ans que je suis dans la musique, c’est seulement cette pique-là. C’est arrivé comme ça. Il ne faut pas en faire une fixation. Si je vous dis que je n’ai jamais fais une faute, c’est faux.
Par Claude K. & Omar A. [email protected]@topvisages.net