« Nul n’est plus misanthrope qu’un adolescent déçu » Herman Melville
Auteure russe de confession juive, née à Kiev en 1903, exilée en France et déportée en 1942 à Auschwitz, Irène Némirovsky est un maître de ballet aussi habile que délicat. Et c’est avec un sens de l’ordonnancement littéraire d’une rare acuité qu’elle dirige ce court roman évoquant le désarroi d’une adolescente.
1ére de couverture « Le Bal » de Irène Némirovsky – Editions Grasset « Les cahiers rouges »
Passés – suite à d’heureuses spéculations boursières – de la classe nécessiteuse à l’abondance, M. et Mme Kampf décident d’organiser un bal pour consacrer leur nouveau statut social. En arrière-plan leur fille, Antoinette, longue et disgracieuse fillette de 14 ans, se réjouit de cet évènement qui fera enfin d’elle une véritable jeune fille signant son entrée dans le monde. Une joie de courte durée pour celle qui éconduite ne fera qu’essuyer le refus humiliant de ses parents. Reléguée à ses leçons de piano, aux rebuffades cinglantes de sa mère, Antoinette va souffrir en silence. De ce mutisme, elle tirera une vengeance aussi limpide que tranchante… les adultes n’ont qu’à bien se tenir.
Avec ce court roman d’une centaine de pages, Irène Némirovsky démontre ce qu’est l’intelligence de l’économie littéraire. S’aidant d’une plume aussi raffinée que maîtrisée, l’auteure frôle la psyché complexe d’une jeune fille en conflit avec une mère vaniteuse dont la jeunesse s’est fanée. Examen tout en nuances de ce temps infécond de l’adolescence fait de doutes, d’espérances rarement comblées, où persiste cette cruauté angélique propre à l’enfance, « Le Bal » est une valse de mauvais sentiments qui vous grisera par son ironie et sa tendresse. Et c’est à l’unisson de celui d’Antoinette que battra votre cœur de lecteur, en souvenir de ces années où vous auriez pu donner votre vie pour ne plus être regardé comme un enfant.
En filigrane, Irène Némirovsky égratigne avec une causticité justement dosée le petit monde méprisable des nouveaux riches se parant de diamants pour que s’oublie leur inculture. Un roman admirable de perfidie et d’harmonie considéré comme l’un des très rares chefs-d’œuvre écrit sur l’adolescence. Ce moment si fragile où il faut parfois choisir entre vivre ou mourir… « Ah oui, l’âge heureux quelle blague hein quelle blague ! Elle répéta rageusement en mordant ses mains si fort qu’elle les sentit saigner sous ses dents : Heureux… heureux, j’aimerais mieux être morte au fond de la terre… »