Après le sensationnel Section.80 qui a marqué les esprits l’année dernière de par la qualité majestueuse de la production jazzy et atmosphérique, les lyrics viscérales de Kendrick Lamar et son flow destructeur, les attentes pour son premier album commercial ont atteint des pics plus dingues que son souffle sur le couplet de Rigamortis. L’album a alors été très vite élevé au rang de classique du rap. Qu’en est-il réellement ?
Déjà, malgré l’apparente folie critique qu’a reçu cet album, il y avait tout pour partir sceptique sur cet album. Après avoir sorti les sensationnels The Recipe, Cartoon & Cereal et Westside Right On Time, K.Dot a annoncé qu’ils ne figureraient pas sur l’album. On se disait déjà qu’avec la qualité de ces 3 chansons, l’album était déjà assuré de ne pas rater. Ensuite, on a vu que l’album durerait plus d’1 heure… Et qu’il n’y aurait aucun featuring de ses potes du Black Hippy à part Jay Rock sur une chanson. Dr. Dre, producteur exécutif, semblait absent aussi et à la sortie de Compton, l’outro de l’album, les avis étaient mitigés. Sauf que se dire ça, c’est oublier que Kendrick a ce toucher de Midas fantastique qui transforme tout ce qu’il touche en or : rappelez vous de ses couplets incroyables en featuring où il s’approprie totalement la chanson des autres comme sur Buried Alive ou The City. Et Compton… On reviendra dessus plus tard.
Il n’y avait en effet aucun doute à avoir sur cet album et ça se confirme dès la toute première écoute. Quand Kendrick a présenté l’album comme un court-métrage, on était loin d’imaginer à quel point ce terme prendrait des proportions gargantuesques : GKMC est un concept album qui retrace la vie d’un jeune Kendrick qui, à 17 ans, a commencé à réaliser ce qui allait dans sa vie et ce qui n’allait pas à coup de leçons de morales, de foi en la religion, de grosses claques matérialisées par les guerres de gang et la mort d’un de ses proches. L’histoire est retracée de manière non linéaire mais on arrive à tout suivre et le tout devient très vite prenant, ponctué par de longs interludes enregistrés de ses parents et de son groupe d’amis.
S’il y a un gros défaut qui fait tâche aux albums similaires et qui rend la qualité du storytelling obsolète, c’est bien le contenu de l’histoire. Quand on prend Take Care par exemple, Drake raconte peut-être assez bien ses plaintes et autres lamentations… Le seul problème c’est qu’on s’en fout totalement de ce qu’il raconte. Avant de raconter quelque chose, il faut s’assurer que ça intéresse les gens. L’histoire de Kendrick, elle, est réellement captivante et intéressante et joue avec les sentiments et le vécu de beaucoup de jeunes, tiraillés par l’amour, l’amitié, l’influence, voire-même la violence. Même si, il faut l’avouer, l’album est moins bien écrit que son précédent opus, il reste plus cohérent et toujours profond.
Il lancera des lines pseudo-philosophiques ou poétiques parfois qui ressemblent à des proverbes trouvés dans les biscuits de la fortune (Everybody gon’ respect the shooter, but the one in front of the gun lives forever ; Even a small lighter can burn a bridge ; Look inside of my soul and you can find gold and maybe get rich, look inside of your soul and you can find out it never exist… et je peux continuer) mais ça va bien dans le sens de l’évolution du personnage de Kendrick, qui mûrit et se pose des questions existentielles. Il y a encore moins de doute dans l’idée que ces phrases inspireront des générations de jeunes et de rappeurs aspirants. L’album a aussi son lot de lyrics plus ignorantes et qui, hors contexte, semblent assez ringardes : And her body got that ass that a ruler couldn’t measure ; I pray my dick get big as the Eiffel tower so I can fuck the world for 72 hours… qui dans l’album accentuent le côté ignorant et naïf d’un jeune Kendrick qui a des préoccupations de jeune et qui, du coup, semblent plus cohérentes que celles de Section.80 où il répétera une douzaine de fois I’m going big, suck my dick. Mais il est évident que l’album reste particulièrement profond et bien écrit, comme sur Sing About Me, I’m Dying Of Thirst. Swimming Pools (Drank) semble à première vue une banale apologie de l’alcool et de la débauche avant qu’on ne comprenne qu’il s’agit d’une prise de conscience de Kendrick qui se détruit à petit feu et qui se laisse noyer par l’alcool et l’influence de son groupe d’amis.
Il y a une phrase de la critique de Spin de l’album qui, à mon sens, résume tout l’album : C’est un album plus facile à admirer qu’apprécier. Même en termes de flow, pour renforcer le côté cinématique, il adoptera différents tempos pour différents personnages, différentes situations etc., ce qui améliore le storytelling fantastique mais nuira légèrement au flow de l’artiste, sans pour autant l’empêcher de placer des couplets surpuissants dont il nous a habitué comme sur Backseat Freestyle où le rappeur offre son premier essai au rap ignorant dans le van de sa mère ou encore sur le deuxième couplet de Swimming Pools (Drank). Les interludes apporteront une profondeur sensationnelle à la première écoute mais il faut avouer qu’après quelques écoutes, la longueur de ces interludes (une dizaine de minutes en tout) rendra le tout plus poussif. Les interludes intensifient la prise de conscience et l’évolution du jeune Kendrick, en montrant l’importance de la foi pour le rappeur, ce qui l’a poussé à continuer la musique, etc. Il y a aussi moins de moments holy shit-esques que Section.80 (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas) car le tout est plus cohérent : c’est plus un album dont la qualité se ressent lors d’une écoute complète plutôt qu’une écoute sporadique et morcelée.
C’est dans cette optique que Compton apparaît dans toute sa grandeur et s’impose comme l’un des meilleurs tracks de l’année : La chanson clôt l’album et la narration pour une avance rapide du film vers le présent, avant la sortie de l’album, où Kendrick a désormais pris conscience de ce qu’il devait faire, qu’il est désormais au top du rap game, et quoi de mieux pour célébrer cette victoire méritée qu’un beat west coast et glorieux comme pas possible où Kendrick et Dre glorifient la ville de Compton avec des couplets solides, des refrains engagés, des percussions gigantesques, des synthés et du vocoder à la California Love ? Compton est la plus grosse perle de l’album et l’un des meilleurs sons de l’artiste, qui prône sa victoire avec des lines splendides et qui le place au top du rap game actuel.
En plus de tout ça, il faut surtout se dire que ce qui frappe plus que le concept en lui-même et qui empêche l’album d’être simplement un autre de ces albums hyper-intelligents mais qui délaissent la sonorité au profit de l’intellect, c’est la production stellaire de l’opus. Sur ce point là, c’est purement de la perfection. GKMC joue sur différentes sonorités et offre un panel d’influences très varié. On a droit à beaucoup de beats atmosphériques comme sur Section.80 mais le côté jazzy est remplacé par un côté plus actuel. Sherane a.k.a. Master Splinter’s Daughter, l’intro, ouvre l’album sur de l’ambient, des distorsions et un pitch aigu fantomatique très future garage et intriguant, qui montre que l’album pousse les sonorités du rap commercial plus loin que d’habitude comme a pu le faire (de manière beaucoup moins bien exécutée par contre) Take Care l’année dernière et si ça peut faire évoluer la production rap, c’est extrêmement louable. Il y a Backseat Freestyle, le banger de l’album produit par le déjà-culte Hit-Boy (Niggas In Paris, Clique, Goldie) et qui claque par son gros sample très grimey à la Salaam Remi et son côté minimaliste à la Grindin et qui signe l’un de ses meilleurs beats. Le côté extrêmement puissant et violent va en miroir avec le flow monstrueux de l’artiste qui montre la hargne d’un jeune Kendrick qui prouve, lors de son premier rap (selon la continuité de l’album) qu’il a eu la rage et cette motivation depuis toujours. Money Trees sample Silver Soul de Beach House et – je sais ce qu’on peut penser des productions rap qui samplent des groupes “hype”, de Drake à Childish Gambino mais là le résultat est époustouflant, atmosphérique comme pas possible et très bien exploité. Beaucoup d’autres chansons exploiteront ce filon, comme Swimming Pools (Drank), Poetic Justice avec son beat sensuel, Bitch Don’t Kill My Vibe qui ponctue un beat assez trap par une guitare légère, etc. Non, vraiment, l’album est l’un des mieux produits en termes de hip-hop depuis très longtemps.
Ainsi, il n’y a pas de doute que good kid, m.A.A.d. city est l’un des meilleurs albums de l’année et que la hype qui l’entoure est justifiée. C’est l’album d’un jeune rappeur qui a réalisé ce qu’il devait faire il y a plusieurs années, qui le retranscrit de manière inspirante et touchante et qui parallèlement fait d’une pierre deux coups en s’imposant avec comme le meilleur rappeur de sa génération. Cependant, il y a eu énormément de discussion autour de cet opus par rapport à un sujet précis : celui de l’élever au rang de classique. On peut tout à fait comprendre comment Kendrick matérialise ce retour du “”"real”"” hip-hop (dieu que ce terme est détestable) et à quel point il peut être inspirant pour toute la population qui l’écoute (surtout pour les messages religieux)… et vu les ventes on peut être sûrs qu’il a toute une armée derrière lui. Il est trop tôt pour traiter cet album de classique mais il est sûr que d’ici quelques années, cet album laissera des séquelles à l’histoire du hip-hop de manière générale, de la manière de produire à la manière de raconter. Kendrick est déjà légendaire et si la perfection de Section.80 nous laissait malgré elle encore deviner qu’il n’en était qu’à ses débuts, GKMC se ressent comme une autre avancée pour le rappeur qui dépassera sans aucun doute le pilier normal des autres rappeurs pour, lui aussi, sortir son propre Illmatic un jour. Et comme le dit si bien l’intro : Amen. 9.2/10
Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouve énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !