Forever young par le Ballet d'état bavarois

Publié le 01 décembre 2012 par Luc-Henri Roger @munichandco

Stephanie Hancox et Matej Urban dans Broken Fall

La nouvelle production du Bayerisches Staatsballet, Forever Young, réunit trois ballets de grands chorégraphes des 20ème  et 21èmesiècle, tous trois dansés avec la maestria du célèbre corps de ballet munichois.
Le trio Broken Fall a été créé en 2003 par le chorégraphe Russell Maliphant pour Sylvie Guillem, William Trevitt et Michael Nunn au Royal Opera House Covent Garden. L'oeuvre traite du danger de la chute, un danger qui guette constamment l'être humain. Maliphant joue sur la force de gravité avec une soliste qui escalade ses partenaires masculins avec un jeu subtil de chutes et de rééquilibrages. Un public d'aficionados attendait beaucoup de la performance de Lucia Lacarra, qui sans doute devait se réjouir de cette prise de rôle exigeante à la mesure des extraordinaires qualités d'une des plus prestigieuses étoiles du Staatsballett. Un destin malencontreux en a décidé autrement car lors des répétitions un accident s'est produit qui a conduit au remplacement de deux danseurs du trio initialement prévu. C'est Stéphanie Hancox qui a brillamment assuré la relève de Lucia Lacarra pour nous faire découvrir ce grand moment du ballet contemporain, pour lequel le public a manifesté un énorme enthousiasme. On sent parmi le public une grande attente: découvrir de nouvelles créations de chorégraphes contemporains comme c'est le cas avec Broken Fall, et, on peut toujours rêver, accueillir un créateur pour la création mondiale d'une oeuvre qui articulerait son langage propre et ne soit pas  la resucée d'un passé certes prestigieux mais déjà bien connu.

Séverine Ferrolier et Cyril Pierre dans la Moor's Pavane


José Limón avait chorégraphé la tragédie shakespearienne Othello dans une Pavane d'une quinzaine de minutes sur des musiques de Purcell: la Moor's Pavane, créée en 1949, est un témoin de la 'Modern Dance', une chorégraphie pour quatre danseurs qui nous entraînent dans l'histoire tourmentée d'Othello, de Desdemone, de Jago et d' Emilia. Malgré la beauté visuelle des costumes et d'une composition chorégraphique quasi florale, malgré les jolis effets du déploiement en corolles chatoyantes des longues robes, on a par trop l'impression d'assister à la mise en place d'un tableau vivant animé, les corps des danseurs disparaissent quelque peu dans l'abondance des tissus des costumes de Pauline Lawrence, superbes au demeurant. Les jeux chorégraphiques autour d'un mouchoir de dame que les danseurs s'arrachent longuement sont sans doute censés symboliser la lutte amoureuse et de l'expression du pouvoir, mais l'effet n'en est pas réussi et lasse rapidement: le symbole n'est pas à la hauteur des enjeux de la tragédie.

Choreartium - Lukáš Slavický, Ilana Werner, Javier Amo

En deuxième partie, le Ballet d'Etat bavarois présente le premier ballet abstrait de l'histoire du ballet, Choreartium, un ballet sans action dramatique et sans étude psychologique des protagonistes. Léonide Massine a transposé la structure et l'atmosphère de la quatrième symphonie de Brahms en langage chorégraphique, en suivant l'instrumentation de la partition. Cela donne une oeuvre joyeuse et aérienne à la mesure d'une symphonie extrêmement rythmique qui comporte trois allegros dont la fameuse passacaille de l'allegro final, avec près de trente variations, par nature très dansée et une excellente source d'inspiration pour un chorégraphe. Les décors lumineux (jeux videos de Lea Heutelbeck et lumières de Christian Kass) introduisent notamment des éléments de comique visuel qui soulignent la société heureuse et unie qu'évoque la chorégraphie. Contrairement à la tradition du Ballet bavarois, les ballets ne seront pas reconstitués selon les productions originales, mais réinterprétés par le hollandais Keso Dekker, un des maîtres du décor et du costume contemporains. Choreartium est resté d'une fraîcheur réjouissante. On peut questionner l'interprétation musicale du chef Robertas Šervenikas qui ne rend pas compte de toute la richesse des couleurs orchestrales et ne conduit pas à l'écoute de la balance subtile entre les vents et les cordes, si caractéristique de cette oeuvre de Brahms. Bien sûr on est au ballet et la musique doit servir le langage des corps, mais faut-il à ce point gommer la musique pour la transformer en une simple musique de ballet? Rien n'est moins sûr. Cette reprise de Choreartium comporte par ailleurs un aspect profondément touchant: c'est Lorca Massine, le fils de Leonide Massine, qui a réalisé la reprise de la chorégraphie de son père. La qualité de la production est nourrie de cette sensibilité filiale, de l'hommage d'un grand chorégraphe contemporain à un grand chorégraphe de l'histoire de la danse, qui se trouve être son père. Une belle et bonne soirée de ballet avec ce curieux intitulé, Forever young, car enfin Broken Fall est une oeuvre récente du ballet contemporain et, si son avenir est prometteur, elle n'a pas encore accédé à l'éternité, on ne perçoit pas l'éternelle jeunesse de la Pavane, et l'oeuvre de Massine, pour belle, entraînante et allègre qu'elle soit, n'avait pas révolutionné l'histoire du ballet, même si c'était une des premières fois qu'un ballet était dansé sur une symphonie. 
Prochaines représentations les 18 et 26 janvier, le 29 avril et le 2 juillet
Crédit photographique: Charles Tandy