Béni soit Jean-Marie G. Le Clezio, qui de sa hotte providentielle, sortit ce joyau de lecture, consacré illico Prix Renaudot. La petite histoire révèle que, surprise par l'attribution, Scholastique Mukasonga crut d'abord à un canular, avant que de sauter dans le premier train en direction de Paris..
"La mère supérieure prit enfin la parole. Elle souhaita la bienvenue à toutes les élèves et particulièrement à celles qui entraient pour la première fois au lycée. Elle rappela que le lycée Notre-Dame-du-Nil était destiné à former l'élite féminine du pays, que celles qui avaient la chance d'être là, devant elle, devaient devenir des modèles pour toutes les femmes du Rwanda (...)"
Perché à quelque 2500 mètres d'altitude, en retrait altier de la capitale rwandaise et de ses tentations, le pensionnat chrétien Notre-Dame-du -Nil accueille des jeunes Rwandaises issues de familles cossues. En ce début des années '70, un quota frappe déjà d'ostracisme la minorité tutsi, limitant à 10 % l'accès des jeunes filles à l'internat. Ce ne sera hélas, que le début des humiliations et sévices qu'elles subiront, rappelant à plus d'un triste égard, les prémices d'un autres génocide historique.
" Eh bien moi, je vous le dis, les Tutsi, c'est comme les Juifs, il y a même des missionnaires, comme le vieux père Pintard, qui disent que ce sont vraiment des Juifs, que c'est dans la Bible."
La subtilité et la force du roman de Scholastique Mukasonga est qu'elle distille, à travers le quotidien naïf, pétri d'idées reçues et attachant, de collégiennes et un récit percutant, parfois cruel et dérangeant mais aussi empreint de fraîcheur, d'humour, de couleur locale et de traditions ancestrales, les éléments qui rendront , vingt ans plus tard, le massacre, inéluctable. Survivante d'une famille tutsi décimée, l'écrivain lui rend un hommage digne, bienveillant, marquant...aristocratique.
Une lecture majeure de l'année
Apolline Elter
Notre-Dame du Nil, Scholastique Mukasonga, roman, Ed. Gallimard, février 2012, 228 pp, 17,9 €