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La graisse, ce faux ennemi

Publié le 01 décembre 2012 par Copeau @Contrepoints

La graisse qu’on accuse avec unanimité pourrait en fait se révéler un allié puissant autant qu’inattendu de votre santé.
Par J. Sedra

La graisse, ce faux ennemi
La graisse a mauvaise presse. On la traque dans nos aliments, on l’évite comme un poison, on l’accuse de tous les maux… En ces temps de « taxe Nutella » et de chasse à l’huile de palme, cette sorcière moderne, ce serait pourtant une bonne chose d’apprendre à connaître la graisse. Ou plutôt, les graisses au pluriel : car elles sont multiples et très différentes. Et de se rendre compte que celle qu’on accuse avec une telle unanimité pourrait en fait peut-être bien se révéler un allié puissant autant qu’inattendu de votre santé…

Mon meilleur ennemi

Les graisses sont des molécules complexes, elles-mêmes composées d’un assemblage entre plusieurs choses :
- un glycérol (un alcool avec un cycle carboné),
- un, deux ou le plus souvent trois acides gras qui viennent se coller, par une liaison d’estérification, au glycérol.

Autrement dit et dans le cas général (naturel), une molécule de graisse = 1 glycérol + 3 acides gras
C’est pour ça qu’on les appelle des « triglycérides », et qu’on voit parfois passer des « diglycérides » (deux acides gras sur un glycérol) et « monoglycérides » (un seul acide gras) dans les listes d’ingrédients de certains produits industriels. Qu’est-ce qu’un acide gras ? C’est une succession de carbones en file indienne, recouverts d’hydrogène, et accrochés à un groupe carboxyle par un bout de la file.

Les propriétés de cette graisse (température à laquelle elle fond, couleur, texture, goût etc.) dépendent de quels acides gras ont été réunis sur le même glycérol.

Par exemple, dans la graisse du cacao (beurre de cacao utilisé pour faire le chocolat), pratiquement toutes les molécules contiennent un glycérol, un acide stéarique, un acide oléique et un acide palmitique – c’est pour ça que le chocolat a une texture homogène et fond en une fois à une température donnée, ce qui le rend si particulier ; alors que dans le beurre la graisse peut contenir un, deux ou trois des acides butyriques, oléiques, linoléiques, palmitiques, stéariques, etc. mélangés ensemble ou réunis par paires ou triplets sur le même glycérol : c’est pour ça que le beurre fond progressivement et de manière hétérogène, en faisant une huile et des grumeaux.

Pour simplifier, plus un acide gras est long, et plus la graisse qu’il compose fond à une température plus élevée.

On mesure la longueur d’un acide gras au nombre d’atomes de carbone enfilés les uns après les autres (chaîne) qu’il contient :

  • 6 ou moins : chaîne courte (butyrique, formique, caproïque, valérique, propionique…)
  • entre 6 et 12 : chaîne moyenne (caprylique, caprique…)
  • entre 12 et 21 : chaîne longue (laurique, myristique, arachidique, palmitique, stéarique…)
  • 22 et plus: très longue chaîne (béhénique, cérotique, lignocérique…)

La graisse, ce faux ennemi

Ensuite, cette chaîne de carbones peut être « saturée » si elle contient le maximum d’atomes d’hydrogène possible. Un carbone peut se relier au plus à quatre autre atomes donc on a soit 4 hydrogènes sur un carbone tout seul (c’est du méthane !), soit trois hydrogènes et un autre atome (carbone, mais aussi oxygène ou azote…), soit deux hydrogènes et deux autres atomes – par exemple deux carbones s’il est au milieu de la chaîne carbonée de l’acide gras.

Si deux carbones reliés ensemble sur la chaîne ont chacun une liaison disponible (chacun ayant un Hydrogène de moins que le maximum) ils se lient ensemble une seconde fois pour faire une liaison double : l’acide gras est alors dit « insaturé » puisqu’il n’est pas saturé en hydrogène, et on distingue les mono-insaturés (une seule liaison double sur la chaîne carbonée) et les poly-insaturés (plus d’une liaison double).

En gros, plus un acide gras est saturé et plus il est stable chimiquement… et inversément.

Il y a plein de combinaisons différentes pour les acides gras : on peut placer une liaison double n’importe où sur la chaîne, donc ça fait des variantes innombrables… Du coup on les catégorise : Alpha-N pour les acides gras dont la liaison double est en position N en partant du début de la chaîne (marqué par le groupe carboxyle qui se trouve au bout : COOH), Omega-N quand on compte depuis la fin de la chaîne. Et dans ces foules de variantes, il y en a finalement assez peu qui sont naturels. Et par dessus ça, chaque liaison double peut se former en version « droite » ou « coudée » ce qui veut dire que chaque acide gras insaturé existe lui aussi en version « droite » (trans-) et « coudée » (cis-).

La graisse, ce faux ennemi

Le corps humain fabrique des tas d’enzymes différentes qui peuvent modifier les molécules chimiquement, y compris les acides gras. Par exemple on peut « saturer » les acides gras insaturés. On peut aussi au contraire « désaturer » un acide gras saturé en ajoutant une liaison double, mais seulement à partir du 9ème carbone : c’est pour ça que les acides gras mono-insaturés linoléiques (LA) et alphalinoléiques (ALA), dont la liaison double se trouve avant le 9ème carbone, sont dits « essentiels » (EFA) car on ne peut pas les synthétiser (ce sont les omega-6 et omega-3 naturels dont vous avez sans doute déjà entendu parler). Les tests sur les animaux et les études sur les populations primitives suggèrent fortement que les acides gras saturés aident à économiser et à utiliser les acides gras essentiels. L’explication serait qu’un apport plus important en acides gras saturés implique que le corps aura moins recours aux acides gras insaturés pour fabriquer, par saturation enzymatique, les acides gras saturés qui lui manquent.

La digestion des graisses

Quand on mange des graisses, celles-ci sont émulsifiées par la bile produite par la vésicule biliaire, un élément du foie. Cette émulsion leur permet d’être absorbées par la paroi intestinale comme la plupart des autres nutriments (puisque sinon, les graisses étant hydrophobes elles ne se mélangent pas avec le milieu aqueux du corps). La salive contient une enzyme, la lipase linguale, qui peut commencer le travail de déconstruction des triglycérides en diglycérides+1 acide gras libre, mais le gros du travail est fait par la bile et par la lipase pancréatique (aidée de son acolyte la colipase) qui sépare le glycérol des acides gras.

Les acides gras à chaîne courte et moyenne passent dans le sang directement, tandis que ceux à chaîne plus longue doivent être empaquetés dans des transporteurs de lipides spécialisés : les fameux (fumeux ?) « cholestérols » sanguins, en vrai des lipoprotéines composés de cholestérol, de protéines, et de phospholipides : les acides gras sont emmaillotés dans un lipoprotéine appelé chylomicron fabriqué par l’intestin grêle, et passent dans le sang.

Lipoprotéines du plus gros au plus petit : chylomicrons, VLDL, IDL, LDL, et HDL

  • Chylomicron: transporte les acides gras digérés de l’intestin vers le foie, les réserves de graisse ou les cellules musculaires
  • VLDL: (Très Faible Densité) transporte les acides gras transformés par le foie vers les autres cellules
  • IDL: (Densité intermédiaire) fournit aux autres lipoprotéines des protéines (marqueurs) servant de signalisation
  • LDL: (Faible Densité) transporte le cholestérol vers les cellules du corps pour qu’elles l’utilisent
  • HDL: (Haute Densité) extrait le cholestérol des cellules n’en ayant plus besoin pour le ramener au foie, ou aux organes qui s’en servent de brique de construction des hormones stéroïdes (glandes surrénales, gonades). Donc, moins de HDL c’est moins d’hormones cruciales pour la bonne santé. Les substances actives portées en surface par le HDL ont aussi des propriétés anticoagulantes, antioxydantes et anti-inflammatoires très utiles.

Le foie transforme les chylomicrons en VLDL, puis en IDL, puis en LDL et finalement en HDL, puis recycle les restes lorsque le HDL finit sa vie. Pour faire simple, les lipoprotéines vivent leur cycle de la forme la plus grosse à la forme la plus petite en se « vidant » progressivement de leurs acides gras, puis de leur cholestérol et finalement de leurs protéines.

Les chylomicrons doivent d’abord être « activés » par d’autres lipoprotéines appelés HDL (Haute Densité) par le transfert d’une protéine appelée APOC2, et « taggés » au passage pour recyclage par le transfert d’un APOE. Puis ils peuvent être « saisis » par les cellules du foie, du squelette, du tissu adipeux, du cœur et des muscles, directement. Et les chylomicrons vidés rendent ensuite aux HDL les APOC2, l’APOE restant seul pour indiquer aux cellules du foie qu’il faut les recycler. Les cellules du squelette, du cœur et des muscles récupèrent l’acide gras pour le transformer directement en énergie. Celles du tissu adipeux les utilisent comme énergie ou bien les raccrochent à un glycérol pour le stocker sur le long terme sous forme de triglycéride, celles du foie les ré-empaquètent dans d’autres lipoprotéines pour des usages plus spécialisés. Ce sont les hormones qui déterminent la répartition entre tous ces usages, en activant ou désactivant les enzymes qui réalisent ces fonctions.

Le LDL est appelé à tort « mauvais cholestérol », alors que c’est un transporteur d’acides gras, de protéines et de cholestérol, qui joue un rôle bénéfique dans la lutte contre les infections. Par ailleurs, la science récente nous a appris que ne serait « mauvaise » que sa variante spécifique appelée Lp(A), porteuse du marqueur Apolipoprotéine A (ApoA). Et encore celle-ci remplirait une fonction salvatrice quoique désuète de nos jours : empêcher le scorbut de provoquer des thromboses (apparemment, on aurait évolué cette variante pendant la dernière ère glaciaire). Cette faculté d’empêcher l’éclatement des caillots parfois présents naturellement sur les parois artérielles est le déclencheur nécessaire mais pas suffisant de l’athérome, la « plaque artérielle » qui finit par boucher le passage du sang, provoquant anévrisme ou infarctus. Pour cela il faut aussi que le caillot s’enflamme pour évoluer en athérome, ce qui est rendu plus probable si les acides gras contenus dans l’ApoA sont oxydés. Les acides gras qui s’oxydent les plus facilement sont les moins stables, c’est-à-dire ceux qui ont le plus de liaisons insaturés: les « PUFA » ou acides gras poly-insaturés, et dans une moindre mesure les acides gras mono-insaturés.

Le gras c’est la vie

Au final, les acides gras sont utiles pour :

  • fabriquer des hormones, principalement sexuelles mais aussi corticoïdes indispensables à la régulation du métabolisme et de la tension
  • fabriquer des phospholipides qui constituent les parois cellulaires et les liposomes (dont les lipoprotéines)
  • servir de source d’énergie (création d’ATP par béta-oxydation: les carbones sont oxydés in-situ sur la chaîne, et clivés de la chaîne pour former un CO2)
  • servir de réserve d’énergie de long terme une fois reconstitué en triglycéride à l’intérieur d’un adipocyte : nos réserves d’énergie à long terme (bouée, brioche, bourrelets… tant de petits noms !)

Toutes ces fonctions sont absolument nécessaires à la vie, et réduire son apport en graisses peut les compromettre. On sait par exemple que les régimes pauvres en graisses peuvent réduire fortement le niveau des hormones sexuelles – réduisant au passage la libido mais aussi de nombreuses fonctions liées à ces hormones : régulation de la tension artérielle, fertilité, santé de la peau et des os, réponse au stress, absorption et/ou synthèse des vitamines liposolubles (par exemple un régime macrobiotique peut entraîner rachitisme, ostéomalacie et ostéoporose précoce par carence en vitamine D, comme l’a découvert à ses dépens l’actrice Gwyneth Paltrow)…

Remarques importantes sur ce qui précède

– manger gras augmente le niveau de HDL, qui sont en « bout de chaîne » et indispensables à la digestion des graisses, car leur présence est stimulée par le fait de digérer des graisses. Et réciproquement, manger moins de graisses réduit leur besoin et donc leur nombre. C’est pour cela que, paradoxalement, manger plus gras rend votre sang (et vos artères et vos veines) « moins gras »: par l’augmentation du HDL cela protège indirectement des maladies cardiovasculaires, contrairement au mythe simpliste malheureusement très répandu qui associe acides gras saturés, cholestérol et maladies cardiaques.

– manger sucré augmente le niveau de triglycérides « libres » et de transporteurs d’acides gras (VLDL, LDL, etc.) dans le sang car l’insuline nécessaire pour ramener la glycémie à la normale empêche l’utilisation des acides gras par les cellules, et donc freine fortement le « vidage » des lipides du sang en donnant la priorité au glucose (car ce glucose, contrairement aux acides gras, est immédiatement toxique au dessus du seuil rapidement atteint de 1,4 g / L). Autrement dit, manger sucré avec régularité rend le sang plus gras – encore un effet qui semble paradoxal pour qui se satisferait des explications simplistes diffusées depuis des décennies au sujet des maladies cardiovasculaires.

– toutes les graisses ne se valent pas, loin de là. Les acides gras qui s’oxydent facilement, ou qui sont difficilement métabolisés comme les acides gras « trans » (insaturés mais hydrogénés industriellement), sont probablement dangereux pour la santé car ils stimulent l’inflammation cellulaire ou dégénèrent en sous-produits toxiques en interagissant avec d’autres substances. De même, tous les acides gras n’interagissent pas de la même manière avec une glycémie élevée : certains peuvent devenir alors toxiques pour le pancréas tandis que d’autres sont nécessaires à sa bonne santé, ou encore certains peuvent dans ces conditions stimuler une réponse de résistance physiologique à l’insuline. Le sujet est vaste et complexe, et la recherche continue…

Pour toutes ces raisons, la qualité des graisses que l’on mange compte tout autant que leur quantité. Mais une chose est sûre : la graisse n’est pas l’ennemi sanitaire que trop de gens croient.

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