Petite histoire tirée de ma vie quotidienne en cité.
J'en vais m'en expliquer tout de suite, en tirant de la glaise du verbe son pouvoir narratif.
Il y en a qui rêvent de faire pleuvoir la «richesse du monde» de manière égalitaire sur chacun. Il y en a d’autres qui outrepassent sans le savoir les temporalités closes de l’idéologie en tenant joyeusement une motte de terre entre les doigts.
Il est 17h45 vendredi soir. Mamouda, 10 ans, a terminé ses devoirs. Avec d’autres camarades de la cité des Mureaux il a décidé de nous aider, Stéphane et moi, dans notre entreprise de jardinage spontané!
Devant l'entrée de notre local associatif il y a deux grands bacs de bêtons d’une superficie de 1m² chacun qui encadrent trois longues marches de deux mètres, grisées et noircies. Dedans, des mauvaises herbes et des détritus. Grâce à l’enthousiasme des six apprentis jardiniers et au système D, en quelques minutes l’on retire l’épaisse pellicule de terre blessée par les huiles de vidange. Et dans le bac de terre se dessinent des formes nouvelles. Pas besoin de toile ni de pinceau pour imaginer le trésor de nos rêves. Dans ce récipient en ciment se trouve le monde entier. L'esprit d'enfance ne met pas de limite à l'imagination. Un peu à la manière des archéologues nos mains et nos rateaux de fortune modèlent petit à petit les météorites de béton qui ont atterri dans ce microcosme. Deux doigts qui frottent la pellicule de terre posée sur le dessus de l'objet non identifié, un manche à balet qui fait levier par dessous et c'est le monde qui se soulève! Et soudain c'est la victoire! Mamouda et Salima tiennent dans leurs petites paumes le pavé difforme flanqué d'un demi-arc voûté. Ils sont radieux. Si la joie d'un moment tenait en une signature ce serait sans conteste ce sourire de vainqueur.
Quelques minutes plus tard c'est au tour de Jihanne de faire jaillir du sol un second trésor. Il ressemble au premier d'ailleurs, il est biseauté en quart de cercle. Les enfants le remarque mais c'est Mamouda qui aura le trait d'esprit qui fabrique le rêve pour l'adapter à la réalité : "si on associe les deux ça fait un pont!". Et après une séance de clichés avec le trophée baigné dans une marée de sourires l'esprit continue son oeuvre dans les pensées de Mamouda : "Victor j'ai trouvé : c'est le pont du billet de 10€!"
Cette remarque me touche en plein coeur. C'est comme une étincelle; mais bien sûr il a tout compris cet enfant : ce pont roman du billet de 10€ n'est pas seulement une représentation virtuelle d'une expression de l'art européen. Il est aussi l'image d'un pont réel, qui existe! Ce soir, c'est un enfant qui l'a retrouvé, sous la terre, en plein coeur de la cité des Mureaux !
Je réajuste ma veste marron en velours et je retourne travailler pour la recherche de fonds. Hauts les coeurs!