La HADOPI, c'est ce feuilleton bien français, de plus en plus moisi, avec un budget hollywoodien pour le résultat en salle d'un court métrage d'auteur inconnu sur pellicule de récupération à la Ed Wood. Devant ce constat, les rumeurs de suppression trottinent. On sent l'odeur du sang, de la bête blessée dont l'avenir est plus qu'incertain. Dès lors, la HADOPI est entre deux feux.
D'un côté, mal aimée du public (et c'est un délicat euphémisme), elle tente de s'attirer ses faveurs en proposant une réflexion générale sur le droit d'auteur qui pourrait déboucher, éventuellement, sur quelques aménagements (de pure façade). De l'autre, elle avance doucement ses pions en matière de sécurisation et d'étude des lolcats sur les interwebs pour trouver un prétexte en béton et s'assurer un avenir.
Pour le public, des bisous putatifs...
Pour la première démarche, on en voit quelques traces avec les petits soubresauts ridicules déclenchés chez Pascal Rogard, le patron de la SACD, cette vieillie institution devenue coterie de lobbyistes assez peu scrupuleuse des consommateurs qui la font vivre, ce public qu'elle aime bien truander en tentant de verrouiller le droit d'auteur dans des bidons de formol juridique.
Tout part de la nouvelle que la HADOPI tente actuellement une réflexion (j'insiste sur "tente") sur le droit d'auteur afin d'en déterminer les exceptions possibles. La démarche était troublante puisque la Hautotorité a choisi de demander leur avis politique à des institutions judiciaires comme la Cour d'Appel de Paris ou la Cour de Cassation. Demander à des députés (qui font la loi ou la modifient), ce n'est que logique. Demander à des juges (qui se contentent de l'appliquer), lorsqu'il ne s'agit pas d'un avis technique, c'est plutôt louche. D'où le "tente" de tout à l'heure : ici, la HADOPI donne le change.
En effet, si elle fourre son nez dans le doigt pardon droit d'auteur, elle prend le risque d'en réclamer une évolution dans un sens plus favorable au public. Risque modéré, on le comprend avec le choix des partenaires du dialogue, mais risque tout de même : comme le note Guillaume Champeau dans son article sur Numerama, l'article L331-13 du Code de la propriété intellectuelle donne à la Haute Autorité le pouvoir de "recommander toute modification législative ou réglementaire".
Évidemment, on comprend que les lobbyistes comme Rogard, le patron de la fameuse SACD, n'y soit pas franchement favorable : tout ce qui revient, peu ou prou, à amoindrir ce droit revient à réduire potentiellement les recettes de toutes les institutions qui ne vivent que par cette niche législative (pour rappel : si les artistes étaient vraiment concernés dans l'affaire, on commencerait par leur demander leurs avis, ce qui n'est jamais fait).
Tout ceci est bel et bien bon, mais n'oublions pas l'autre côté de la pièce.
...et des coups de bêche dans le portefeuille.
Comme je l'ai dit en introduction, il s'agit ici d'un double jeu pour la HADOPI : si elle négocie quelques petits ajustements à la marge sur un droit d'auteur poussiéreux et de plus en plus remis en question tant par les auteurs que le public qui sent bien qu'il ne sert plus que de prétexte aux intermédiaires pour se gaver au milieu (il n'est qu'à voir ce que touche vraiment un auteur sur la vente d'une œuvre pour comprendre qui est le grand gagnant de ces lois alambiquées), c'est pour mieux avancer avec ses projets de régulation et de contrôle de l'internet, objectif avoué de tous les gouvernements (qu'ils se prétendent de droite ou de gauche) depuis que le réseau mondial a commencé à fournir de vraies alternatives au tout à l’État, et à la perte de pouvoir qui en résulte pour le politicien. Et il n'y a aucun doute sur les intentions de l'institution puisqu'elle a récemment expliqué, dans un document magnifiquement rédigé en xyloglotte, et par le détail, ce qu'elle compte mettre en place pour assurer une extension gourmande de sa missions.
Pour rappel, la HADOPI avait en effet pour mandat initial de débusquer le vilain partageux de culture musicale ou cinématographique au travers des sites P2P. S'en était naturellement suivi un certain abandon de ce moyen d'échange entre internaute avec l'apparition du téléchargement direct à partir de sites centraux, dont par exemple Megaupload faisait partie. Notons aussi l'utilisation des newsgroups qui permettent aussi un partage efficace, et qui échappait de même aux enquêtes fort approximatives de l'institution et de ses prestataires pourtant rondement payés.
Devant ces lacunes qui ont ajouté à la très mauvaise presse dont la Hautotorité faisait déjà l'objet, il fut donc décidé d'étendre les protocoles et réseaux d'échanges espionnés, en étendant donc ses tâches au streaming, déchargement direct et autres newsgroup. C'est ainsi qu'on découvre, page 22 du document en question :
Un des objectifs à atteindre dans le cadre de ce poste, est de quantifier, de qualifier et de suivre de façon périodique les mises à disposition et consommations de contenus sur les différents canaux utilisés par les internautes. Des travaux de recherche seront menés sur les newsgroups, les plateformes DDL/Streaming et les réseaux P2P afin d’atteindre cet objectif.
Concrètement, cela veut dire, pour l'institution, qu'il va lui falloir mettre en place des outils informatiques qui iront pêcher l'information là où elle se trouve, c'est-à-dire et en substance, faire un robot d'indexation, avec toutes les subtilités liées aux données personnelles qu'on peut imaginer. Mieux, on lit (page 32) que la Hautotorité a l'ambition de suivre l'évolution des liens et informations partagés afin de voir "s'il existe une réaction et une adaptation des contrevenants aux demandes de retraits formulées par les ayants droit". Si l'on ajoute à ces subtilités la technicité même de l'ouvrage qu'il faudra mener (multiplicité des plateformes, des droits d'accès, infrastructure pour arriver à indexer suffisamment de sites en suffisamment peu de temps pour rester pertinent, ...) on comprend tout de suite que le but affiché (surveiller rien de moins qu'une majorité de l'internet français) n'est absolument pas en rapport avec les moyens mis en face.
Et c'est tout l'intérêt !
Se fixer ainsi un but lointain et grandiose, c'est excellent pour la carrière du chef qui va mener ses troupes à l'assaut d'un Himalaya de dépenses avec, certainement, un ou deux beaux coups médiatiques dans la besace en cours de chemin (choper un méchant groupe de pirates serait très bien). Avoir ainsi une mission d'ampleur biblique, c'est l'occasion de demander Plus De Moyens, et d'ouvrir ainsi en grand le robinet à pognon gratuit, celui qui justement, menace de se fermer ! Comme c'est commode !
Bien évidemment, ni Rogard de la SACD, ni les habituels clowns de la propriété intellectuelle, des majors ou de la Hautotorité agaçante ne se posent la question de savoir si leurs croisades ont un réel effet bénéfique. On les comprend : se poser la question, c'est, quelque part, prendre du recul sur sa fonction, sur le droit d'auteur et essayer de comprendre ce public dont on a si longtemps pillé les poches. Difficile remise en cause.
D'autant plus difficile que plusieurs études tendent à montrer que lutter contre le piratage, en réalité, détériore les revenus des artistes ; le site TorrentFreak cite ainsi une étude des Munich School of Management et Copenhagen Business School qui montre que certains films bénéficient du bouche à oreille induit par le piratage. Au-delà, les recherches montrent aussi que la suppression de Megaupload, par exemple, a eu soit un impact négatif, soit totalement insignifiant sur les revenus des salles de cinéma. La lutte contre le piratage est donc tout sauf une réussite flamboyante.
Devant ce constat d'échec, si l'on se rappelle de la facture HADOPI (plusieurs millions par an) et le nombre de délits finalement jugés (Dix ? Onze ? Trois ?), la décision de suppression de tout ce bazar aurait déjà dû être prise. Rassurez-vous : il n'en sera rien. Rogard de la SACD, Nègre d'Universal Music, Marais et Walter de la HADOPI ont encore quelques beaux jours devant eux, à se goinfrer discrètement.
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