[Critique] THERESE DESQUEYROUX de Claude Miller

Par Celine_diane

Claude Miller a toujours eu un penchant pour les héroïnes de caractère, les femmes fortes et contradictoires. Le personnage-titre du roman de François Mauriac, publié en 1927, était logiquement tout indiqué pour lui : une Thérèse tiraillée entre ses envies de liberté, ses pulsions d’ennui, la réalité sociale de l’époque. Une Thérèse (incarnée par Audrey Tautou) qui épouse Bernard Desqueyroux (Gilles Lellouche), un peu pour ses propriétés de pins, un peu pour les conventions. Une Thérèse qui n’appartient pas à ce qu’elle nomme « la race implacable des simples ». Piégée au cœur d’une bourgeoisie de province sclérosée, et étouffée par un ménage-prison, elle sombre peu à peu…Sur le tournage, Miller était malade. En avril dernier, il s’éteint. Rien ne plane sur le film, aucune ombre, aucun signe de fatigue apparent. Jusqu’au bout, Miller aura fait ce qu’il fait de mieux : mêler quelques soupçons d’académisme à une brillante mise en scène, un bon casting. Le résultat ? « Une histoire simple (qui) n’est pas forcément simpliste », comme le dit la jeune femme dans le film. Miller soigne tout : ses décors, ses comédiens, sa façon d’aborder des thématiques clichées (couple, bovarysme et autres réjouissances) sous un angle plus subtil et complexe qu’il n’y paraît. 
Thérèse Desqueyroux se veut oeuvre populaire, mais dans le bon sens : il contentera aussi bien le spectateur devant sa TV que l’amoureux de l’image. Car Miller a parsemé son dernier film de jolis plans-tableaux symboliques : la forêt landaise (la condition sociale, l’immobilisme), les hectares de pins qui prennent feu (la révolte d’une femme), le soleil qui surplombe une barque au bord de l’eau (le doux parfum de l’enfance). Au-delà d’un scénario- en soi déjà intéressant et qui respecte le roman- (si ce n’est que Miller a préféré le traiter de façon linéaire), le film aborde des concepts qui demeurent très modernes: la solitude qu’induit toute forme d’anticonformisme, l’esprit libre torturé par une société patriarcale, la difficulté de vivre lorsque l’idéalisme pousse au rejet des règles. Son héroïne était parfaite pour le cinéma : indomptable, pleine de contrastes, tourmentée. Miller est parti, et il laisse en clôture de son oeuvre le regard franc et fier d’une figure féminine qui s’espère enfin libre. L’est-elle ? La question demeure là, à flotter dans l’air, bien après la fin du film. Un bel au revoir.