Quand le gouvernement veut remettre en question le droit de propriété – excusez du peu – il soigne son langage.
Par Baptiste Créteur.
Arnaud Montebourg veut nationaliser l'intégralité des activités de Florange, qu'ArcelorMittal ne veut pas céder, le temps de vendre à un autre industriel. Pour alléger un peu le poids du geste – une expropriation, un vol, appelez-le comme vous voulez – il ne manque pas de préciser que le repreneur potentiel est un industriel, et surtout pas un financier :
Nous avons un repreneur, qui est un aciériste, un industriel, qui n’est pas un financier, qui par ailleurs souhaite investir son argent personnel et, excusez du peu, est disposé à investir jusqu'à près de 400 millions d’euros dans cette installation pour la rénover», a expliqué Arnaud Montebourg devant les députés.
Comme si le fait que le repreneur-receleur soit un industriel rendait le vol moins grave. De même, Cécile Duflot annonce des réquisitions, mais uniquement auprès de personnes morales :
"Trois lettres" sont sur le point d'être envoyées aux préfets des régions les plus tendues en matière de logements – Ile-de-France, Rhône-Alpes et PACA – "pour se mettre en situation de procéder à des réquisitions d'ici la fin de l'année", a expliqué la ministre, en précisant que ces réquisitions concerneraient des bâtiments appartenant uniquement à des personnes morales. Fin octobre, Cécile Duflot avait dit sa volonté de mettre en œuvre ce dispositif rarement appliqué par un gouvernement pour accueillir sans-abri et mal-logés.
Cette fois, c'est l'identité de celui qu'on vole qui importe : une personne morale, c'est moins grave qu'une personne physique. On peut voler une entité juridique, mais on ne spoliera pas d'individus directement.
Le choix des mots compte beaucoup. On imagine aisément un méchant financier, cigare au lèvres et haut-de-forme, acheter Florange dans une "pure logique spéculative", mais un industriel prêt à investir, c'est très différent : il veut également gagner de l'argent, maximiser son profit au prix de son effort, de son intelligence et est prêt pour cela à mettre la main à la poche, mais on l'imagine proche de ses salariés – un industriel, voyons – et sympathique. Il en va de même de la personne morale : elle est, en dernier ressort, la propriété de personnes physiques, mais quand on évoque une personne morale, on fait référence à une entité juridique impersonnelle ; réquisitionner un bien dont on a du mal à attribuer la propriété intuitivement n'est pas perçu comme priver quelqu'un de son bien.
Il n'en reste pas moins que ces deux augustes ministres proposent, purement et simplement, de remettre en question le droit de propriété, socle des droits de l'homme. Ce sacrifice qu'on tente d'imposer à certains au profit des autres, renoncer à la propriété privée pour tenter de sauver quelques emplois ou loger quelques SDF, revient à détruire ce qui fonde notre société et que l’État est censé garantir. Plutôt que remettre en question les droits naturels et imprescriptibles de l'homme, il serait peut-être temps de songer à remettre en question les "droits à", qui requièrent le sacrifice de quelques-uns au profit des autres.
Tant que l’État s'arrogera le droit de remettre en question la propriété, tant que la démocratie sera une tyrannie de la majorité sans garde-fou, tant que les quelques principes garantissant sa liberté à l'homme ne seront pas respectés, nous en serons loin. Mais gardons espoir, l'éthique et la morale ne sont pas définitivement enterrés sous les déchets du pragmatisme et de l'altruisme. Elles renaîtront de leurs cendres lorsque les créateurs et producteurs ne parviendront plus – ou ne voudront plus – alimenter les lubies des collectivistes. À l'heure où la liberté doit être revendiquée à force d'être piétinée, le champ de la pensée et des idées ne doit pas être laissé aux mystiques de l'esprit et de la force, ceux qui croient en la conscience sans l'existence et ceux qui croient en l'existence sans conscience.