L’histoire progresse à toute allure. Signes avant-coureurs, épidémie, contagion des rats, contagion des hommes, lutte, défilades, hésitations... Puis un jour le rideau se lève sur Oran, cette ville « qui tourne le dos à la mer », et la peste s’en va. Tonnerre et frénésie. Immense soulagement, musique, feux d’artifices. La mise en scène se referme sur l’air que chante Montand : « les feuilles mortes se ramassent à la pelle ». Mais les derniers mots du roman résonnent encore dans les esprits quand le comédien abandonne le banc de salle d’attente : « Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ».
Vient le moment de l’échange. Dans le noir où, faute de projecteur, il se détache à peine, Francis Huster est-il sorti tout net de l’écran pour venir à la rencontre du public ? Effet d’optique ou cinématographique ? Mieux que la 3D ? Comme dans ce film de Woody Allen, « la Rose pourpre du Caire », le comédien n’est plus dans la toile. Après le générique de fin, il est là, en chair et en os... sauf que le défaut d’éclairage (pénombre du plateau) dissimule un peu son visage. La voix est la même, on croirait entendre parler le docteur Rieux.
Il évoque Camus, les origines de la pièce, les différentes versions du texte. Il cite des anecdotes, évoque d’autres noms, Christian Dior, Voltaire, Racine, Molière... indique qu’il y a deux types d’écrivains, ceux qui « créent des ponts » avec le lecteur, « ceux qui n’en créent pas ». Il parle du personnage de Tarrou qu’il préfère, parce qu’il est l’Homme, à la différence de Rieux, qui, lui, est une sorte d’automate qui traverse la vie, qui survit à la peste mais qui ne « se salit pas les mains ». On s’attendrait à le voir changer de voix, à le voir redevenir Tarrou, le concierge, Paneloux, Grand... Mais le temps du jeu est terminé et il faut libérer la salle, tout à l’heure, il y a James Bond au CGR.