Le voleur d’enfance #1

Publié le 29 novembre 2012 par Lheureuseimparfaite @LImparfaite

Vingt mars. Premier jour du printemps. Il se sentait de bonne humeur ce matin là. Prêt à reprendre la route dès qu’il aurait fini d’avaler son café. Il était bon ce café, bien corsé. Pas comme cette lavasse qu’il avait l’habitude de boire dans les stations d’autoroute. Il était content de ce convoi en province. Il ne s’était jamais vraiment fait à la vie dans les grandes villes, quelque par il resterait toujours ce provincial débarqué presque par hasard dans cette boîte de transport. C’était l’agence d’intérim qui l’avait envoyé là-bas. Il s’en souvenait encore. La dame qui l’avait accueilli était très gentille, elle l’avait beaucoup soutenu dans son malheur, quand il avait tout perdu. Ils s’étaient compris aussi sans échanger beaucoup de mots. Elle l’avait jaugé de la tête aux pieds, s’était arrêtée sur ses gros bras musclés, c’est comme ça il avait toujours été une force de la nature, et lui avait proposé une première mission en tant que déménageur. Une bonne expérience, ça lui avait bien vidé la tête. Et puis finalement le patron l’avait pris comme chauffeur. Il savait qu’il pouvait compter sur lui pour de longs voyages, l’envoyer partout aux quatre coins de l’Europe. Jamais il ne se plaindrait des horaires, jamais il ne râlerait. De toute façon il n’avait plus rien, plus de famille à laquelle se raccrocher.

Et maintenant il surveillait son camion d’un oeil distrait. Des enfants jouaient au coin de la rue. Ils riaient fort aussi. Ça lui transperçait le coeur en même temps que sa bouche dessinait un pâle sourire… Surveillance bien inutile dans pareille petite bourgade. Pas ici qu’ils viendrait lui siphonner le réservoir, ni lui déchirer sa bâche pour lui piquer sa marchandise. Quoi que certains étaient prêts à tout pour gagner quelques euros. Même à voler une cargaison de peluches. Qu’ils osent un peu et il verraient, ils verraient… Il préférait rester prudent. Encore un verre d’eau pour rincer le goût amer du café et il était parti. Machinalement il porta son talisman en corail à sa bouche et l’embrassa. C’était devenu son rituel à chaque départ. Un geste à la fois machinal et rassurant. Parfois il se sentait vaguement sous l’emprise de son gri-gri et puis il balayait cette pensée d’un haussement d’épaules. Maintenant il s’était composé une nouvelle carapace, il se sentait protégé et tout puissant. La chasse pouvait continuer.

Timide participation personnelle au jeu d’écriture, défit littéraire « Des mots, une histoire » 83 chez Olivia. Les mots imposés sont : goût, oser, surveiller, malheur, comprendre, provincial, verre, soutenir, avoir, bras, poser, corail, partout, composé, emprise.

Source illustration : Coffee, like it black by The Lily X on Flickr.