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Dans son enquête, l'Association Bloom explique que le secteur cosmétique est le premier acheteur mondial de squalane, une substance hydratante non grasse idéale pour la formulation de crèmes, à ceci près que le squalane est en grande partie obtenu à partir des foies de requins profonds, dont certaines espèces sont menacées d'extinction. Mais il faut savoir que le squalane peut également être tiré de plantes, notamment d'olives.
L'étude de Bloom estime ainsi qu'environ 90 % de la production mondiale d'huile de foie de requin est destiné à la production de squalane pour le secteur cosmétique, ce qui correspond à la capture de plus de 2,7 millions de requins profonds chaque année.
Alors que certains producteurs de squalane affirment que les requins profonds utilisés sont des animaux capturés accidentellement et simplement " valorisés ", l'enquête de Bloom démontre au contraire que les requins sont majoritairement issus de pêches ciblées. Une production spécialisée semble même être une condition nécessaire à l'obtention d'une huile de bonne qualité.
Etant donné la valeur importante de l'huile de foie de requin (entre 12 et 15 dollars le kilo), il semblerait en outre qu'il existe un phénomène de " livering ", c'est-à-dire de prélèvement des foies et de rejet de la carcasse en mer, par analogie avec la pratique du " finning " qui consiste à découper les ailerons des requins et à rejeter les animaux estropiés à la mer, le plus souvent encore vivants.
" Même si un virage très net a été pris par les entreprises occidentales en faveur du squalane végétal, le secteur cosmétique à l'échelle mondiale reste largement approvisionné par le squalane animal " commente Romain Chabrol, auteur de l'étude. Celui-ci rappelle que des tests aveugles menés sur des produits de grandes marques de cosmétique ont montré que les entreprises étaient parfois trompées par leurs fournisseurs quant à l'origine du squalane que ceux-ci leur vendaient comme étant de fabrication végétale.
" Cette enquête révèle la " vérité qui dérange " de l'industrie cosmétique, qui motive par sa demande l'existence de pêcheries non durables, non règlementées, parfois illégales, ciblant des animaux à la longévité extrême, la croissance lente et la fécondité faible, y compris des espèces menacées d'extinction... Difficile de combiner autant de tares " explique Claire Nouvian, fondatrice de l'association Bloom. " C'est presque impensable que les crèmes luxueuses que nous nous appliquons sur le visage et le corps proviennent en partie de pratiques aussi laides. Le mariage du secteur cosmétique et de la pêche de requins profonds, c'est la belle et la bête " ajoute-t-elle.
Jusque récemment, les flottes industrielles françaises et espagnoles pêchant les espèces profondes dans l'Atlantique Nord-Est fournissaient un volume suffisamment abondant de foies de requins profonds pour qu'un important producteur de squalane établisse des comptoirs de collecte des foies dans les ports de Boulogne-sur-Mer et Lorient. La pêche industrielle a précipité le déclin vertigineux des populations des requins profonds en quelques années (chute supérieure à 95% pour certaines espèces). Depuis 2010, l'Union européenne interdit aux navires de les cibler.
L'épuisement des stocks a ainsi poussé les flottes, notamment espagnoles, à déplacer leur effort de pêche vers les eaux tropicales ou semi-tropicales du Sud, dans une logique inexorable de surexploitation séquentielle des océans profonds du monde.
" S'éloigner des eaux réglementées de l'Union européenne, c'est le scénario idéal pour les flottes peu scrupuleuses : une main d'oeuvre peu chère, pas de protection sociale, des réglementations et des contrôles faibles ou inexistants. In fine, c'est la tragédie des communs assurée : la course à la ressource jusqu'à son épuisement. La seule façon de mettre fin à des pratiques de pêche aussi destructrices est de couper le robinet à la source. Nous espérons que l'industrie cosmétique entendra notre appel à se détourner de façon définitive et urgente du squalène animal " alerte Claire Nouvian.
" Il est en effet très regrettable que les consommateurs désirant acheter des produits éthiques ne puissent pas privilégier les crèmes à base de squalène végétal simplement parce que la norme européenne sur l'étiquetage des produits cosmétiques n'oblige pas à différencier le squalane selon son origine " renchérit Romain Chabrol.
Une faille de la règlementation à laquelle les entreprises doivent aujourd'hui remédier. Et à défaut, la mobilisation des acheteuses et acheteurs de cosmétiques...
Romy Heisenberg