Un petit bijou trouvé dans la librairie du Musée de Grenoble, sans doute en perspective de l’exposition consacrée à Alberto Giacometti qui sera présentée du 9 mars au 9 juin 2013.
L’Atelier d’alberto giacometti de Jean Genet a été publié chez L’Arbalète pour la première fois en 1963, avec des photographies remarquables d’Ernest Scheidegger qui déambule dans l’espace de l’atelier. Ses photos nous montrent l’homme et son visage, quelques tableaux aux personnages d’un mouvement infime et multiple, intérieur, aux regards troublants d’infini, et des sculptures oblongues qui nous parcourent d’un même frisson…dans une fragilité puissante.
Cette fascination pour l’énigmatique beauté des œuvres de Giacometti est sans nul doute le point de départ de ces rencontres entre l’écrivain et l’artiste. Quelque chose d’incongru dans le rapprochement de ces deux univers, dont les créations, pourtant, pétrissent des poussières, des humanités écorchées et brulantes, pas si antagonistes qu’elles peuvent paraître.
L’écrivain se sent maladroit, a peur d’être ridicule, devant l’artiste impassible, préservé par les mots dans sa posture en léger mouvement, le corps tout entier dédié à son œuvre, à ce qui le traverse en profondeur. Genet observe, happe quelques dialogues, interroge. S’interroge entre le visible et l’invisible, et nous livre une méditation sublime sur un espace dont finalement les sculptures de Giacometti ne sont que des points d’accroche, ou d’entrée.
On va, en somme, avec l’écrivain, on scrute, on sonde là où il y a résonnance, tout en découvrant un homme dont Genet qualifie l’œuvre d’un « art de clochards supérieurs, à ce point purs que ce qui pourrait les unir serait une reconnaissance de la solitude de tout être et de tout objet ».
« Etant ce que je suis, et sans réserve, ma solitude connaît la vôtre. »
Quelques échos :
« Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut
quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. Il y a donc loin de cet art à ce qu’on nomme le misérabilisme.
L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine. »
Jean Genet
« LUI. – Quand je me promène dans la rue et que je vois une poule de loin et tout habillée, je vois une poule. Quand elle est dans le chambre et toute nue devant moi, je vois une déesse.
MOI. – Pour moi une femme à poil est une femme à poil. Ça ne m’impressionne guère. Je suis bien incapable de la voir déesse. Mais vos statues je les vois comme vous voyez les poules à poil.
LUI. – Vous croyez que je réussis à les montrer comme je les vois ? »
Dialogue, Lui (Giacometti), Moi (Genet).
« Au peuple des morts, l’œuvre de Giacometti communique la connaissance de la solitude de chaque être et de chaque chose,
et que cette solitude est notre gloire la plus sûre. »
Jean Genet
l’atelier d’alberto giacometti
de Jean Genet
Photographies de Ernest Scheidegger
Mise en page par Marc Barbezat
Editions l’Arbelète
réédition : 2007