Dans l'affaire ArcelorMittal, la propriété privée est menacée par un gouvernement qui valorise plus quelques emplois dans des hauts fourneaux que l'état de droit.
Par Baptiste Créteur.
Alors que le groupe ArcelorMittal souhaite fermer les hauts fourneaux de Florange et que, en tant que propriétaire du site, c'est son droit, le gouvernement rivalise d'ingéniosité pour masquer avec plus ou moins de succès son impuissance en dehors d'un recours à la force physique. Les droits que l’État s'arroge ne menacent pas seulement le groupe industriel, mais également l'état de droit.
Alors que Mittal veut fermer une partie de ses activités à Florange, il a accordé un délai au gouvernement pour trouver de potentiels repreneurs pour ces activités, à savoir les hauts fourneaux. Il est important de noter que le groupe souhaite maintenir et demeurer propriétaire des autres activités du site. Arnaud Montebourg évoque pourtant cette possibilité en mettant en avant une possibilité de reprise, par un investisseur non financier donc forcément gentil - sans se soucier que cette proposition soit, d'avance, inacceptable compte tenu de la volonté d'Arcelor Mittal de conserver ses activités en dehors des hauts fourneaux :
«Nous avons un repreneur, qui est un aciériste, un industriel, qui n’est pas un financier, qui par ailleurs souhaite investir son argent personnel et, excusez du peu, est disposé à investir jusqu'à près de 400 millions d’euros dans cette installation pour la rénover», a expliqué Arnaud Montebourg devant les députés.
En toute logique, le groupe refuserait cette offre, mais c'est toujours important de savoir mobiliser l'opinion publique autour d'une mauvaise foi qu'on ne tardera pas à mettre du côté du vilain-groupe-industriel-qui-licencie plutôt que de celui du gentil-ministre-qui-propose-des-solutions-inacceptables-mais-qui-ont-le-mérite-d'être-évoquées. Le gouvernement se permet pourtant de fixer des objectifs et de donner des ordres, évidemment vagues pour ne pas trop se mouiller :
Le président Hollande a demandé mardi à Lakshmi Mittal «qu’il assure un avenir industriel aux hauts-fourneaux, ainsi qu'à la totalité de la chaîne de production en aval de l’acier de Florange», a détaillé le ministre.
C'est dit : il faut "assurer un avenir industriel", un point c'est tout. Si le gouvernement se permet de donner des ordres à une entreprise privée, dont les décisions reviennent à ses actionnaires, c'est parce que la propriété privée, il n'en a pas grand chose à faire :
«Cette demande a été formulée avec la perspective que le gouvernement dispose aujourd’hui d’un scénario, qu’il a rappelé, de nationalisation temporaire du site de Florange, au cas où une décision serait prise de fermer les hauts-fourneaux, comme l’a annoncé ArcelorMittal», a-t-il poursuivi.
Pour simplifier, si Mittal refuse d'obéir, on le forcera à le faire en l'expropriant, purement et simplement, le temps de vendre à un repreneur - l'objectif de la menace étant de faire plier le groupe, qu'il accepte de vendre ce qu'il ne veut pas vendre plutôt que de se faire exproprier, qu'on ait au moins l'illusion qu'il était d'accord avant de le féliciter pour son pragmatisme. On comprend bien que, si l'état de droit n'a pas vraiment d'importance, si la menace est acceptable au motif que des emplois sont en jeu, la propriété privée n'a plus de sens ; elle n'est plus un droit, mais une autorisation temporaire de jouir d'un bien et de croire qu'il vous appartient jusqu'à ce que le gouvernement en décide autrement. D'ailleurs, c'est formulé à peu près dans ces termes :
Le gouvernement attend «les propositions» de Lakshmi Mittal, a-t-il encore lancé, estimant que c'était «à lui de prendre désormais ses responsabilités». «La décision est entre les mains du président de la République et du Premier ministre, je ne doute pas qu’ils prendront les bonnes décisions après les réponses de Mittal», a conclu le ministre.
"Prendre ses responsabilités", ça veut dire accepter les conditions du gouvernement, à savoir agir non pas dans l'intérêt du groupe mais dans celui de quelques hommes politiques et d'un industriel véreux ravi de mettre la main sur des activités qu'il n'aurait pas pu acquérir autrement. Et surtout, la décision, qui devrait revenir uniquement au propriétaire, "est entre les mains du président de la République et du Premier ministre". Tout le monde est d'accord, on applaudit bien fort la mort de la propriété privée et de l'état de droit. Que tous ceux qui pensaient que la propriété était un droit naturel et imprescriptible de l'homme se dénoncent : la constitution, ça compte moins que l'agonie de quelques emplois qu'on espère faire vivoter encore quelques temps.
La source des droits de propriété est la loi de causalité. Toute propriété et toute forme de richesse sont produites par l'esprit et le travail de l'homme. De la même façon qu'on ne peut avoir d'effets sans causes, on ne peut pas avoir de richesse sans sa source : l'intelligence. On ne peut pas forcer l'intelligence à travailler : ceux qui sont capables de penser ne travailleront pas sous la contrainte ; ceux qui le feront ne produiront pas beaucoup plus que le prix du fouet nécessaire pour les maintenir en esclavage. On ne peut pas obtenir le produit d'un esprit sauf selon les termes de son propriétaire, par l'échange et le consentement mutuel. Toute autre politique des hommes envers la propriété est la politique des criminels, quel que soit leur nombre. Les criminels sont des sauvages qui vivent à court terme et meurent de faim quand leur proie s'enfuit - de la même façon que vous mourez de faim aujourd'hui, vous qui croyez que le crime pouvait être "pratique" si le gouvernement décrétait que voler était légal et résister au vol illégal. (Ayn Rand, "For the New Intellectual")