Je reviens un instant vous parler d’un livre, et ce sera probablement une de mes dernières apparitions, pour des raisons de santé. Je suis devenu allergique au milieu de l’édition…
(Du moins, disons que mes articles à l’avenir seront plus rares)
Revenons à nos moutons… ou à nos écrivaillons. Et à ce « récit ». Dès la première ligne, nous entrons tout entiers dans une communauté juive de Newark, en 1944. Ce qui préoccupe la population, c’est évidemment la seconde guerre, et le départ en masse de soldats américains. Mais un autre soucis voit le jour : la polio. Ce nom à lui seul donne des sueurs. Dans certaines circonstances, encore assez mystérieuses à l’époque, la polio refait des apparitions sournoises. Ce sont d’abord quelques cas isolés… Des malades,des enfants parfois, qui tombent… La maladie les atteint, et quand ils ne meurent pas, ils se retrouvent paralysés, ou enfermés dans un de ces appareils effrayants que l’on nomme pudiquement « poumon d’acier ».
Le « récit » de Philip Roth est centré sur un personnage truculent : Bucky Canton, un jeune prof de gym responsable et droit comme un « i ». Il se présente d’emblée comme le pivot de cette communauté, l’homme fort, malgré sa taille et son jeune âge. Il se soucie de ses élèves et de leurs familles, et se pose aussi la question de la place de Dieu dans ce fléau.
Impossible de ne pas faire un parallèle avec « La peste » de Camus, non seulement quant au sujet, mais aussi quant à la manière dont les faits sont exposés, et le type de narration, détaillée, sur un mode linéaire, jour après jour, qui dévoile les souffrances et les craintes dans un univers de terreur larvée. Roth nous amène peu à peu dans l’horreur mortifère silencieuse. La polio, comme la peste, c’est l’inconnu, et l’inconnu c’est l’ombre, c’est le fief de l’obscurantisme, qui ouvre la porte à toutes les supputations. L’on soupçonne le climat, les habitudes de vie, la nourriture, les déchets, et de fil en aiguille, la peur s’installe jusqu’aux plus petits actes de la vie quotidienne. Cette humanité impuissante qui assiste à l’agonie de ses enfants, Roth nous la donne à voir comme au cinéma, sur une toile géante, éclatante jusque dans ses nuances de noir, et le moindre détail. On entre dans cette vie communautaire entièrement, pour assister comme un spectateur à ce déferlement de souffrance. Mais c’est aussi un récit assez long et chargé de détails, peuplé de nombreux acteurs qui défilent entre vie et mort.. Si bien que l’on aura peut-être un peu de mal à s’attacher à ces gens qui passent, avant de laisser la place à d’autres. Je n’ai pas retrouvé le charme intimiste d’autres romans de l’auteur, comme « Indignation ». Et puis un bémol quand même, la tendance à l’apitoiement. Je mets trois étoiles, ou plutôt trois verres, mais de justesse. J’ai bien aimé, mais l’auteur peut faire mieux.
Némésis de Philip Roth. Éditions Gallimard
Date de parution : 04/10/2012