Après les six épisodes des aventures de Bernie Gunther dans l’Allemagne d’Hitler puis de la Guerre Froide dévorés avec délices, j’attendais mieux de ce roman d’espionnage à décor historique. Là, je trouve que Philip Kerr y va un peu fort en entremêlant son érudition historico-politique à une intrigue difficilement crédible.
Hasard du calendrier, c’est aujourd’hui le 69ème anniversaire du début de la conférence des trois Grands à Téhéran, le 28 novembre 1943, au cours de laquelle Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin Delano Roosevelt décidèrent de l’ouverture d’un second front, avec le débarquement en Normandie qui n’interviendra qu’au matin du 6 juin 1944, pour soulager l’Armée Rouge.
Le héros, Willard Mayer est un homme fort sympathique : professeur à Harvard très attiré par les femmes, Juif par sa famille originaire d’Allemagne, philosophe reconnu, formé aux techniques des Services Secrets américains après avoir été tenté, dans sa jeunesse à Vienne, par une adhésion au Parti Communiste, il est choisi par l’équipe de FDR pour servir d’interprète lors de cette réunion au sommet qui devrait hâter la fin de la guerre en Europe.
Willard Mayer est d’abord chargé d’établir un rapport sur l’exécution de masse des cadres de l’armée polonaise perpétré par les soviétiques dans la forêt de Katyn. Il se rend à Londres, puis à Stockholm, Tunis, au Caire puis à Téhéran. Il est donc enrôlé par l’équipe du Président Américain pour le temps d’une conférence ultra-secrète. Mais au début, on ne comprend pas tellement pourquoi on requiert à ce propos un germanophone … Bref, les services secrets des différents belligérants, des personnages bien réels, sont impliqués dans une aventure rocambolesque où se mêlent des faits inimaginables (mais peut-être vrais) – comme ce projet de commando allemand chargé de faire sauter les Trois Grands lors de la réception d’anniversaire de Winston Churchill à l’ambassade - et un scénario à la Ian Fleming ou John Le Carré largement invraisemblable et, à la fin, totalement loufoque.
Le message subliminal du livre est « Staline, c’est encore bien pire qu’Hitler. Hitler aura juste tenté de balayer les Juifs. Mais Staline essaie d’éliminer toutes les classes de la population » ainsi que le dit un officier polonais. Et qu’il n’existe pas de vérité philosophique.
Mais ne me demandez pas de choisir entre la peste et le choléra. Ce que je recommande est d’avoir sous la main à chaque instant non pas un dictionnaire mais Wikipedia pour savoir qui était chacun des personnages historiques « invités » dans l’intrigue. On se souviendra en particulier de Walter Schellenberg, Sumner Welles, Harry Hopkins, le kinésithérapeute Felix Kersten, Himmler, Kim Philby, Rosamund Lehmann, Beria ….
Le mérite de ce roman est de remettre en lumière cette partie très peu connue des tentatives de pourparlers secrets menés par chaque belligérant pour obtenir, après le désastre de Stalingrad, une paix séparée, qui n’aboutisse pas à la mainmise de Staline sur l’ensemble de l’Europe. Les règles du jeu seront fixées quelques mois plus tard à Yalta, juste avant la mort de FDR, déjà bien handicapé à Téhéran. C’est de la fiction historique, mais elle manque de l’humour décapant qui faisait le charme des aventures de Bernie Gunther !
La paix des dupes, polar de Philip Kerr, Le livre de poche, 619 p. 8,10€