Comme dans tous les yogas, le principal est d’ab
ord d’avoir une attitude lucide : regarder les choses en face, sans laisser intervenir la peur, l’envie de fuir, le mensonge, le désir que la situation soit autre etc…Pas de comparaison avec ce qui pourrait être. Pas de construction d’une réalité parallèle. Comme le dit le Bouddha : la libération consiste simplement à « voir les choses telles qu’elles sont » (sans projection et sans choix). Cette définition n’a pas l’air d’être aussi alléchante que la promesse de marcher sur l’eau ou de se réincarner au 7ème ciel, et pourtant que de merveilles elle recèle !
Ancrée dans cette attitude, que des années de méditation ont fortifiée, transportée d’urgence à l’hôpital, je demande immédiatement au médecin de ne pas prendre de gants avec moi. Après quelques jours d’hésitation, comme je demeure souriante devant des résultats d’analyse de plus en plus « catastrophiques », il finit par comprendre qu’il peut tout me dire et se montre visiblement soulagé, tout en étant assez intrigué. Je pense alors à quel point il doit être pénible aux médecins de devoir annoncer à leur patient des nouvelles « difficiles », alors qu’ils n’ont visiblement reçu aucune préparation psychologique en ce sens et doivent prendre en pleine poitrine la peur, l’inquiétude et la panique de leur interlocuteur.
Tout de suite aussi, je considère que ce qui se passe a un sens : ce n’est pas absurde, même si je ne sais encore ni comment, ni pourquoi. « Ceci étant, cela est » dit encore une fois le Bouddha, résumant l’enchaînement inéluctable des phénomènes. La causalité est irréfutable. Si cette maladie s’est déclarée, c’est normal. Et c’est à moi d’interroger la situation, pour assumer éventuellement mes responsabilités.
Evidemment, mon calme vient surtout du fait que depuis l’âge de 35 ans, « j’ai » l’expérience directe de ma vraie nature (c’est plutôt elle qui m’a !). La peur de la mort m’ayant propulsée vers le Yoga dès mon plus jeune âge, c’est à cette peur que je me suis « attaquée » en premier. Après des années passées à vivre comme une sorte de nonne-yogini (sans famille et sans mari), il m’est apparu clairement un jour que « ce qui est vraiment ne saurait disparaître »…Seuls mon corps et ma personnalité en tant qu’Ariane Buisset sont promis au changement (donc à la destruction qui les modifie seconde par seconde). Mais je suis aussi autre chose.
Dès que j’apprends que « j’ai » un cancer, ma gratitude va vers le maître zen qui avec une grande intuition a testé mon éveil avec la question « que feriez-vous si vous deviez mourir tout de suite ? » La réponse ne pouvait pas passer par les mots, mais devait être démontrée. Je lui signifiai immédiatement que sa question ne se posait pas, dans la mesure où j’étais à la fois déjà morte et par essence en dehors de cette problématique.
Pourtant, si je n’ai pas à m’inquiéter pour mon « être » réel, ce qui me laisse l’esprit tranquille et joyeux, je dois agir sur d’autres plans en m’occupant sérieusement de cette idiote, appelée Ariane Buisset qui s’est mise dans une telle situation (heureusement que le livre « les religions face aux femmes » est fini !) Une fois de plus, je mesure ma chance, même si je l’ai amplement « payée » par des années d’engagement : comme ce doit être horrible d’être confronté, sans certitude aucune, à l’angoisse de la mort, affreux de voir son univers s’effondrer ou d’être inquiet à propos de ses enfants…Je me sens soudain affreusement proche de tous les malades psychologiquement démunis, que je ne peux aider qu’en leur envoyant des pensées affectueuses, sœur de ceux qui, face à des thérapies destructrices, sont incapables de communiquer leur peur et meurent d’inquiétude pour leur entourage (alors que ma souffrance n’est que physique). Que puis-je faire sinon communier avec eux dans mon cœur ? "
Ariane Buisset, décédée fin octobre
source : Blog de José Le Roy