Source : Guillaumeelmassian blog le monde 26/11/2012/a>
« Une pluie fine danse sur le carreau du petit local de la rue du Tage dans le XIIIème arrondissement de Paris. Dans l’entresol, des tas de papiers jonchent mon bureau. Je m’appelle Jean-Pierre. J’ai soixante-deux ans, je suis poète et directeur artistique du Printemps des Poètes. C’est la seule manifestation littéraire d’envergure nationale encore existante, mais plus pour très longtemps peut-être. En effet, le gouvernement qui, dans ses discours, a longtemps prôné la place de la culture au cœur de la formation, tranche notre subvention. Pourtant, et contrairement à ce que l’on peut penser, la poésie sert à quelque chose.
Oui, la poésie souffre de représentations erronées dans l’opinion publique. Des malentendus très anciens et partagés même par les plus grands intellectuels de la nation. On dirait, au hasard des conversations, que la poésie n’intéresse personne, qu’elle est moribonde, obsolète, et l’affaire de quelques tendres hurluberlus. La poésie serait marginale. Il fut un temps pourtant où les poètes, à défaut d’être autant lus qu’aujourd’hui, avaient une place dans la cité. Ils y trônaient comme des phares.
La poésie possède une force de percussion et de vibration, qui fait ressentir, et, dès le plus jeune âge, son caractère profond. Qu’on la lise ou qu’on l’écoute, elle reste partageable par tous. Seule l’attention est nécessaire pour l’appréhender. Chacun possède cette qualité même si la modernité l’égratigne chaque jour. Mais si on l’entend, et c’est le rôle du printemps des poètes que de transmettre le poème, on comprend immédiatement qu’une autre langue est possible, donc qu’une autre représentation du monde est possible. C’est là pour moi l’enjeu de la poésie, c’est l’enjeu politique au sens le plus noble du terme.
La poésie a à voir avec l’édification d’une société qui se réalisera toujours dans le combat et la contradiction. Une société constituée du plus grand nombre possible de gens conscients. La poésie est un extraordinaire accélérateur de la conscience. Donc, à chaque fois que l’on transmet le poème, on travaille au profond, à l’ouverture des consciences de tous. C’est dire à tout le monde qu’il y a une autre façon de dire le réel. Face à l’information pragmatique, aux discours qui enferment le réel dans des catégories, dans des fonctionnements de pensées, la langue poétique fait effraction. Elle éclaire.
La poésie est une subversion qui permet à la langue de retrouver toutes ses capacités. Elle est l’instrument qui permet d’aller le plus loin dans la compréhension de la réalité. Elle l’appréhende non pas dans la surface, ni dans la rapidité du surf, mais prend le temps de l’arrêt. En prenant ce temps, elle prend celui de la profondeur. Loin de fuir le réel, la poésie, c’est le regard le plus attaché à la dimension totale de la réalité. À sa complexité.
N’est ce pas cela dont nous avons besoin, au cœur de cette crise bien plus affective qu’économique ? Cette crise morale et intellectuelle nous amène la poésie comme une urgence. Elle concerne notre représentation du monde, notre situation dans la vie, notre relation aux fins. Un poème, c’est une suspension du temps.
Si l’on veut donc nourrir les gens au lieu de les laisser dans le vide ou les détourner par du divertissement organisé, si l’on souhaite aider nos concitoyens à s’émanciper des peurs, il faut se nourrir de poésie et d’art en général. Et le poème est sûrement le moyen d’accès le plus simple et le moins cher à cette reconstruction de cette force vitale en nous. Une force, ni benoîte ni benêt, qui est une manière de se tenir droit et debout. Conscient et lucide, sans compromis, sans affaiblissement mais en même temps dans une compréhension dynamique du monde. La poésie est urgente, sa transmission aussi. Sauvons la poésie et sa propagation. Sauvons le Printemps des Poètes. On en a besoin. Tous. Et notre jeunesse en premier. »
Guillaume Elmassian
Pétitions pour le Printemps des Poètes : http://www.petitions24.net/le_printemps_des_poetes_en_danger