Cristian Mungiu revient fort après sa Palme d’or acquise au Festival de Cannes en 2007 pour 4 mois 3 semaines 2 jours. Au-delà des collines, sa dernière livraison, a réussi à rafler le Prix du scénario et un double Prix d’interprétation féminine lors de l’édition 2012 du grand rassemblement français.
Tout part très bien dans ce métrage. Une jeune femme suivit de dos, marchant sur un quai de gare à contre-courant des autres usagers, une rencontre avec une camarade, une étreinte, des pleurs. Par ces choses simples, l’émotion est directement au rendez-vous et le film part donc sous les meilleurs auspices. Ces deux personnages, ce sont deux anciennes pensionnaires d’un orphelinat qui ont chacune suivi une trajectoire différente. L’une, Alina, rentre d’Allemagne où elle a tenté de se construire une nouvelle situation. L’autre, Voichita, est entrée dans un couvent perdu dans les collines pour donner un sens à sa vie. Ensemble, elles vont tenter de renouer les liens passés en tentant de vivre à deux dans une institution religieuse. Sauf que tout ne se passe comme prévu. L’adaptation dans le couvent n’est pas chose aisée pour Alina. Celle-ci veut davantage se retrouver avec Voichita qu’avec Dieu, du moins, le croit-on. En effet, le cinéaste n’est pas clair sur ce point car il ne va pas entrer dans le vif d’un sujet pourtant passionnant : la liaison amoureuse. Jamais un mot n’est dit, certes, mais les regards et la trajectoire d’Alina vont clairement dans ce sens. Cette dernière veut rester à tout prix aux côtés de son amie qui, elle, ne l’abandonne jamais. L’amitié, même forte, ne commanderait pas une telle débauche d’énergie et une telle volonté d’aller contre les décisions de l’autorité. Si tout cela reste dans le non-dit, le spectateur se doute donc bien de la latence émotionnelle dans la relation. Hélas, l’implicite ne fait pas tout, il faut également aiguiller le spectateur pour qu’il puisse saisir les enjeux humains dans leurs profondeurs. Or, le cinéaste se prend les pieds dans le tapis en ce qui concerne son système cinématographique. Quand ce n’est pas Voichita qui répète un nombre incalculable de fois les mêmes tirades, ce sont les comportements d’Alina qui se ressemblent tous. Sur les deux heures trente de récit, les évolutions ne sont pas nettement établies, tout juste a-t-on le droit à une dernière demi-heure qui s’active enfin. Enfin, si cette problématique ne passe pas le cerveau ou par le cœur, peut-être peut-elle être amenée par la dimension physique ? Néanmoins, ce n’est pas le cas. Les corps des deux jeunes femmes ne sont jamais mis en valeur, mis à part lors d’une scène, très belle, de passage d’alcool sur la peau d’Alina. On se dit donc que Cristian Mungiu est passé à côté de sa représentation et surtout qu’on ne sait pas trop ce qu’il essaie ou ce qu’il a envie de dire.
Le reste du métrage ne vient que confirmer cette impression. La faute en revient à une mise en scène dénuée de tout principe excitant. Le spectateur se retrouve le plus souvent devant une caméra en face des personnages qui n’aborde jamais les questions de point de vue, de hors champ ou de profondeur. Avec ce seul et unique procédé, la forme de Au-delà des collines est bien cadenassé. Quant au montage, celui ne se remarque même pas dans le sens où il fait un lien simple entre les séquences dans une presque quasi-absence de logique de découpage. Jamais l’auditoire ne sera saisi par une réelle proposition cinématographique significative. Tout se passe devant nos yeux, naturellement, l’absence de musique aidant. Bien entendu, ce sont des volontés naturaliste et asphyxiante qui innerve la démarche du réalisateur mais l’ensemble apparaît à la fois lourdaud, reculé et répétitif. Même lorsque les séquences s’accélèrent, comme lors des moments d’hystérie, le cinéaste reste en retrait. Faut-il y voir une forme de pudeur ? Sûrement pas, on a plutôt l’impression qu’il a peur de son propre sujet. Jamais il ne va prendre à bras le corps son propre film et faire ressentir l’aspect physique. Cristian Mungiu veut jouer à l’intellectuel mais certains moment auraient eu besoin de viscéralité, c’est indéniable. Dès lors, il est impossible de connaître la réflexion de l’auteur sur les thématiques de son propre objet tant tout est mis au même plan. En vrac : quid de son rapport à la religion ? A-t-il un avis sur ces hommes et ces femmes orphelins ? Sur les familles d’accueil ? Est-il en train de livrer une critique du système de santé roumain ? Nul ne le sait et ne voudra le savoir. Le dispositif cinématographique ne donne pas envie de se poser de tels questionnements. Pire, le spectateur s’ennuie au fur et à mesure du déroulement du récit tant il n’y a aucune nouveauté. Il faut attendre l’ultime scène du film pour sentir enfin une once de degré cinématographique. Le mouvement est admirable et fait preuve d’une force évocatrice remarquable. Le spectateur comprend alors l’enjeu de Au-delà des collines. Mais c’est déjà trop tard.
Pourtant, on aurait aimé entrer dans le film et ce, pour une raison principale : la distribution. Tous les comédiens sont d’une belle justesse et, en tête, les deux comédiennes principales. Malgré des rôles pas si évidents et éminemment casse-gueule tant ils peuvent amener les actrices à en faire des caisses, surtout pour Alina, elles s’en tirent allègrement avec les honneurs. Le double prix d’interprétation à Cannes 2012 paraît donc amplement mérité, même si on peut émettre une mention spéciale à Cosmina Stratan qui est admirable de pudeur. Mise à part la thématique amoureuse, le casting et les personnages, avec cette cohorte de sœurs, le prêtre et la sœur en chef, auraient pu permettre d’entrer dans un discours sur la place de la religion dans la société roumaine, deuxième enjeu principal du scénario. Cela paraît évident tant les Saintes Ecritures et Dieu sont évoqués par toutes les strates sociales et professionnelles du pays. Or, et comme lors du précédent propos majeur, on ne saura jamais où le cinéaste veut en venir. Critique, dénonciation, appréciation, aveuglement, propagande ? Pas de réponse tangible tout au long du métrage. Il faudra en revenir, encore, à ce fameux plan de fin. Au-delà des collines s’affiche sans doute comme un constat mais une telle posture mérite aussi une profondeur qui n’existe pas ici. C’est trop peu pour réellement passionner.
Le nouveau film du réalisateur roumain déçoit clairement. Même si on peut lui reconnaître des qualités, notamment au niveau de l’interprétation, il lui aurait fallu une écriture et une mise en scène moins convenues et dotées de plus d’enjeux pour qu’Au-delà des collines puisse se poser comme le grand métrage annoncé un peu partout.