Source : L’Union 25/11/2012
Octobre 1927. Les surréalistes diffusent un tract au vitriol pour dénoncer l’hypocrisie (sic) des notables ardennais qui inaugurent un nouveau monument à la mémoire d’Arthur Rimbaud.
Le texte est notamment signé André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard, Robert Desnos, Jacques Prévert, pour ne citer que quelques noms, en l’espèce, d’une partie de ceux qui sont passés à la postérité, pour user d’une formule facile : une postérité à laquelle n’a pas eu droit, tout simplement parce qu’il s’y est en partie refusé, Benjamin Péret, également signataire du tract en question.
Pour mémoire, et parce que l’humour (noir) est une composante essentielle du surréalisme, on se souvient encore que le tract s’achevait en suggérant que ce nouveau buste risquait de connaître le même sort que le précédent, fondu par les Allemands en 14-18. Promesse tenue, hélas.
Plus sérieusement, les surréalistes avaient pris soin de mettre en exergue cette citation d’Ernest Delahaye : « J’aurais moins compris Rimbaud sans le surréalisme ».
Benjamin Péret, lui, avait compris Rimbaud, et c’est un euphémisme que de dire qu’il prit au pied de la lettre ces mots de l’enfant de Charleville : « La morale est la faiblesse de la cervelle ». Alors il a combattu sa vie durant la morale, toutes les morales, tous les ordres établis : correcteur d’imprimerie, militant syndical et trotskiste, il prit les armes contre le franquisme… En 1940, rappelé sous les drapeaux, il est arrêté et incarcéré par les autorités militaires françaises…
L’autre « Grand jeu »
Puis, comme Rimbaud, encore, « poète et explorateur », il est conquis par les mystères et les mythes amérindiens quand il gagne le Mexique. C’est de là qu’il écrit en 1945 son pamphlet « Le déshonneur des poètes », hostile envers ceux qui ont « asservi » la poésie au service du patriotisme (on pense à Eluard et Aragon), alors que le poète, pour Péret, « n’a pas à entretenir chez autrui une illusoire espérance humaine ou céleste ».
Homme fidèle, poète généreux et sans concession, Péret fit inscrire sur sa tombe le titre d’un de ses poèmes les plus explicites : « Je ne mange pas de ce pain-là ».
Décédé en 1959, il est enfin aujourd’hui reconnu. Reconnu, mais encore trop… méconnu.
D’où le travail exceptionnel réalisé par l’Association des amis de Benjamin Péret, qui a rassemblé et édité son œuvre complète aux éditions José Corti.
Une nouvelle étape est franchie avec la publication du premier numéro des Cahiers Benjamin Péret.
On y trouve notamment un dossier consacré à l’accueil polémique que réserva la NRF au « Grand jeu », recueil publié en 1928 (rien à voir avec le groupe et la revue de René Daumal et ses amis) et une correspondance inédite avec Pierre Mabille.
Bref, une bonne façon de (re) découvrir « cet homme qui croyait si peu en lui, qui attachait si peu d’importance à son œuvre poétique – une des plus originales et sauvages de notre époque -. Grâce à des hommes comme Péret la nuit dans le siècle n’est pas absolue », selon ce bel hommage signé Octavio Paz.
Philippe Mellet
Cahiers Benjamin Péret, 132 pages, 20 euros. En librairie ou à commander via le site www.benjamin-peret.org