On sait combien la culture et la passion des tulipes, la tulipomanie, est répandue en Hollande. C'est surtout au XVIIe siècle, entre les années 1630 et 1640, que ce goût ou cette manie exerça son influence dans ce pays. Les tulipes atteignirent alors des prix énormes et enrichirent beaucoup de spéculateurs. Les fleuristes estimaient surtout quelques espèces de tulipes auxquelles ils donnaient des noms particuliers. L'espèce la plus précieuse était celle qu'on nommait Semper Augustus ; on en évaluait un seul échantillon à deux mille florins, plus de quatre mille francs ; on prétendait qu'elle était si rare qu'il n'existait que deux fleurs de cette sorte, l'une à Harlem, l'autre à Amsterdam. Pour en avoir une, un particulier alla jusqu'à offrir 4 600 florins, - plus de 9 000 francs, - et, en sus, une belle voiture avec deux chevaux et tous les accessoires. Un autre, pour un seul oignon, céda douze arpents de terre.
La passion pour les tulipes tournait la tête à tous les Hollandais. Un parterre de tulipes était pour eux le plus grand trésor qu'on pût avoir, et valait autant, sinon plus qu'un magnifique château.
On raconte qu'un matelot, ayant apporté des marchandises à un négociant qui cultivait des tulipes dans son jardin et spéculait sur cette culture, reçut de lui, pour déjeuner, une tranche de pain et un hareng fumé. Comme ce matelot s'en allait en mordant dans son pain et son hareng, il aperçut quelques oignons ordinaires, et il en prit deux qu'il coupa avec son couteau et se mit à manger. En voyant ce qui se passait, le négociant accourut, et, tout désespéré, s'écria :
"Ah ! malheureux ! Si tu savais ce que ton déjeuner me coûte ! J'aurais pu régaler tous les rois de l'Europe avec le prix de ce que tu viens de manger.
Article publié en juin 1907