Reprenant le populisme artisanal et intuitif de Nicolas Sarkozy,
Jean-François Copé entend le professionnaliser et le perfectionner pour sa seule ambition. Mais cette semaine maudite va peut-être l’obliger à réviser ses objectifs à la baisse…
Si l’issue politique ou juridique du nouveau coup de théâtre
du 25 novembre 2012 reste incertaine et confuse après l'échec de la médiation d’Alain Juppé (à savoir revendication de victoire mais renoncement à la présidence dans le camp Fillon, forcing
statutaire dans le camp Copé), le fait majeur du vote du 18 novembre 2012 reste néanmoins que l’UMP s’est
copéisée tant pour son leader (à 50%) que pour ses motions (à 60%).
En effet, si la lutte pour la présidence de l’UMP est très
spectaculaire depuis le 18 novembre 2012 car c’est une rivalité qui dépasse maintenant le registre politique entre François Fillon et Jean-François Copé (Alain Juppé craint maintenant deux désastres majeurs : la scission et le dépôt d’une plainte devant un
tribunal qui conduirait la justice à fouiller dans les affaires de l’UMP), on n’a, à mon avis, justement pas assez insisté sur la répartition des votes pour les motions (seules celles obtenant au
moins 10% sont reconnues) dont les résultats ont été admis par tous.
Diaporama des idéologies de l’UMP
Quelles sont-elles, ces motions ou plutôt, déclarations de principes pour un mouvement ? J’indique entre
parenthèses le ou les principaux leaders des motions.
La Droite forte (Guillaume Peltier et Geoffroy Didier) : 27,8%.
La Droite sociale (Laurent Wauquiez) : 21,7%.
France moderne et humaniste (Jean-Pierre
Raffarin et Jean Leonetti) : 18,2%
Gaulliste (Michèle Alliot-Marie, Gérard Larcher, Bernard Accoyer) : 12,3%.
La Droite populaire (Thierry
Mariani) : 10,9%.
La Boîte à idées (Bruno Le Maire) : 9,2%.
Indiquons au passage que Nathalie Kosciusko-Morizet n’a pas pu déposer sa propre motion pour des raisons annexes (d’où la création de son parti la France droite).
Le premier constat est que la Droite forte, composée surtout de jeunes, a su mobiliser les militants (ce qui
paraît normal, les jeunes sont toujours les plus actifs), et elle a réussi à recueillir surtout la nostalgie de Nicolas Sarkozy (rappelons que la
plupart des adhérents de l’UMP l’ont été par attrait pour l’ancien Président, tant en 2004, 2007 que 2012). Maintenant qu’elle a un niveau d’audience très élevé, des personnalités comme Bruno Le
Maire ou Nathalie Kosciusko-Morizet insistent pour rappeler que la plupart des propositions de cette motions sont …anticonstitutionnelles !
Paradoxalement, la Droite populaire qui fut le premier "mouvement" à exister médiatiquement depuis deux ans
ne recueille que très peu de votants pour proposer à peu près la même chose. La raison est qu’il n’y a pas eu beaucoup de campagne de la part de ses partisans en raison du combat des chefs. En
effet, les principaux initiateurs de cette motion sont désormais très profondément divisés, notamment entre Thierry Mariani (soutien Copé) et Éric Ciotti (soutien Fillon).
La motion des gaullistes ne recueille que 12%. C’est un effondrement car cette motion reprenait en fait les
idées classiques du RPR d’avant 2002.
Le score assez faible de la France moderne et humaniste (moins de 20% alors que Jean-Pierre Raffarin, soutien
Copé, comptait atteindre la première place aux alentours de 30%) est, là aussi, un échec. La motion reprenait les idées classiques de l’UDF d’avant 2002.
Parallèlement, à peu près au même niveau, légèrement supérieur, la Droite sociale fait un bon score avec 22%.
Contrairement à ce qui est dit, la Droite sociale n’a rien de centriste (malgré l’origine politique de Laurent Wauquiez, soutien Fillon) et rien de social ! D’ailleurs, ce qui compte le
plus, c’est le mot "droite" qui semble bien fonctionner parmi les militants de l’UMP. On ne peut pas se dire ni social ni centriste lorsqu’on stigmatise à outrance les assujettis sociaux, toutes
les personnes précaires qui reçoivent des allocations ou des indemnités et qui préféreraient largement ne pas en être tributaires. J’inclus donc ce mouvement dans les 60% de copéisme idéologique
que compte l’UMP même si son promoteur est un filloniste.
En gros, il n’y a plus que 40% des adhérents de l’UMP qui considèrent que l’UMP était bien la réunion du RPR
et de l’UDF. Le restant, soit 60%, prône une autre idéologie, une idéologie de droite dure, "décomplexée", de "peuple de droite" ! Elle n’a rien à voir avec l’alliance traditionnelle UDF-RPR
de 1974 à 2007. Elle a été montée en épingle d’abord par Nicolas Sarkozy lui-même puis, renforcée à but interne par Jean-François Copé. Le terme qui caractériserait le mieux serait "populisme",
terme d’ailleurs assumé aujourd’hui par Marine Le Pen.
Pour résumer très grossièrement, le chiraquisme fut une perversion du gaullisme dans l’électoralisme. Le
sarkozysme fut une perversion du chiraquisme dans l’électoralisme. Voici maintenant le copéisme qui est une perversion du sarkozysme dans le sarkozysme. Résultat, le gaullisme est si dilué qu’il
ne représente que 12% des militants.
Proximité du FN ?
Rejetons rapidement les désinformations provenant surtout de la gauche et des inquiets concernant les
relations entre le FN et l’UMP : même si la ligne forte devait l’emporter à l’UMP, tous les responsables nationaux de l’UMP (tous, sans exception) se retrouvent dans le refus total d’une
éventuelle alliance électorale avec le FN, y compris un arrangement local pour une élection mineure.
Du reste, le FN
n’est pas demandeur (d’autant plus que le scrutin majoritaire commence à l’avantager depuis mars 2011), et
si l’on en croit les programmes respectifs, tout sépare le FN de l’UMP : politique européenne,
politique économique, politique budgétaire et même sur l’immigration où le FN dénonce les 200 000 immigrés arrivés légalement sur territoire national (ce en quoi cette statistique est
incomplète sinon fausse puisqu’il s’agit de 180 000 entrants et avec les départs, car beaucoup d’autres immigrés, comme les étudiants, retournent chez eux après leurs études, cela fait un
solde migratoire de moins de 80 000 ; 77 000 exactement en 2011).
La vraie source de différenciation concerne la position de
l’UMP dans un éventuel second tour entre le PS et le FN, NKM étant la première à promouvoir le front républicain tandis que Jean-François Copé est
partisan du ni-ni (une position finalement proche de François Bayrou en 2007 avec son ni UMP ni PS). La politique du ni-ni est indéfendable car c’est ne pas prendre ses responsabilités. Cela a
valu à François Bayrou de nombreux déboires et une perte de crédibilité. Cela pourrait conduire l’UMP à une simple force tampon entre le FN et le PS (à la grande
joie du FN).
Lors du débat télévisé
du 25 octobre 2012, François Fillon avait admis ne pas vouloir soutenir le PS dans tous les cas, ce qui, pour lui, est une évolution plutôt grave vers ce copéisme idéologique.
Ce qui est donc le plus grave, c’est surtout que ce parti admet majoritairement en son sein des populismes
stigmatisant l’autre, qu’il soit étranger, musulman ou encore demandeur d’emploi, allocataire du RSA etc.
Qu’importe mon opinion ?
Quelques lecteurs peu attentifs se sont permis de projeter sur mon précédent article mes supposées opinions alors que je ne faisais que décrire et modestement analyser une situation, qui a du reste été bouleversée dès le lendemain par les nombreux
soubresauts de l’affaire (qui commencent à lasser même les plus endurcis des journalistes). Je pense d’ailleurs que l’exercice de lecture et aussi d’écriture sur Internet (c’est dans les deux
sens) peut susciter quelques malentendus (j’en avais parlé ici).
Alors, soyons clair : j’avais voté au premier tour des trois dernières élections présidentielles pour la
candidature de François Bayrou, un candidat dont je connaissais la solidité depuis longtemps, et je ne le regrette pas. En 2007, il avait vu
bien avant les autres (même dès 2002) le problème majeur de l’endettement de l’État, et en 2012, il avait
fait des propositions concrètes pour la réindustrialisation de la France bien loin des paillettes de l’actuel
ministre. Je regrette seulement son absence de vision stratégique, à savoir qu’il recherche encore à
s’allier à gauche alors que le PS ne voudra jamais de son apport pour la simple raison que le PS veut conserver dans son marketing politique le mythe du peuple de gauche.
Donc, oui, à titre personnel, je regrette cette copéisation des esprits parce qu’elle renforce le populisme
dans le débat politique. Elle instrumentalise le débat politique à des fins électoralistes et anéantit toute réflexion sensiblement nuancée et surtout complexe dans un monde complexe. Elle réduit
toute recherche de cohésion nationale dans une société fragile qui a besoin de se rassembler autour de repères communs. Il ne sort jamais rien de bon d’une argumentation quand on fait appel à
l’émotion et aux sentiments au lieu d’en appeler à l’intelligence, au raisonnement et à la logique.
La guerre de tranchée entre les deux anciens candidats à la présidence de l’UMP, chaque heure alimentée par
l’instantanéité de l’information, tant à la télévision que sur les réseaux sociaux sur Internet, ressemble à s’y méprendre à une joute de trolls sur Internet. Le mieux est bien sûr de se taire et
de ne pas répondre, mais l’enjeu serait trop fort pour se permettre de s’écraser.
Oui à la pacification du débat national
François Bayrou, invité de BFM-TV le 19 novembre 2012, n’a pas dit autre chose quand il observait que le
débat politique était de plus en plus occupé par des propos qui veulent coaliser les opinions contre quelque chose au lieu de vouloir faire des propositions constructives.
Une observation d’ailleurs commune à ce que voit Hervé Morin mais avec une conclusion différente puisque lui propose un « centrisme de radicalité » alors que François Bayrou a raison de rester sur un discours constructif. Hervé Morin a répété cette expression sans
signification toute la soirée, à BFM-TV, LCP etc.
La stupide histoire du pain au chocolat (stupide et même pas authentique puisque le Ramadan se passait cette
année en pleines vacances scolaires !) ainsi que la provocation à deux balles sur le racisme anti-Blancs (j’y reviendrai) ne sont que les versions les plus caricaturales de ce qui était le moins acceptable dans le sarkozysme, celui de la stigmatisation, celui également du discours invraisemblable de Grenoble du 30 juillet 2010 qui a oublié en grande partie les valeurs
républicaines sur lesquelles se fondait l’action du Général De Gaulle.
Faut-il dissocier le peuple ?
De gaullistes, il n’en reste plus que 12% à l’UMP. C’est éloquent …et ravageur. Le principal absent de cette
tragicomédie reste bien sûr Jacques Chirac. Ce que je viens de constater plus haut, c’est que justement,
l’UMP n’est plus l’addition de l’UDF et du RPR mais une sorte de parti de droite dure, de regroupement de militants qui n’hésitent plus à cliver le peuple français comme le fait
traditionnellement la gauche (y compris François Hollande) avec le "peuple de gauche".
Voici maintenant le "peuple de droite" qui ne représente rien, pas plus que le "peuple de gauche" et dont le
concept est d’ailleurs tout autant anticonstitutionnel puisque la Constitution nous assure avec force que notre République est indivisible. Ne peut donc être divisée ni à droite ni à gauche.
Du reste, en trente-cinq ans, le peuple français a choisi huit fois la "droite" et sept fois la "gauche",
souvent en alternances successives (sauf en 2007), si bien que la notion de "peuple de gauche" et de "peuple de droite" (que Guillaume Peltier, transfuge du FN, essaie d’inculquer à ses
militants) n’a aucune réalité ni politique ni sociologique et encore moins institutionnelle. Il n’y a qu’un seul peuple.
Même si l’enjeu dans le choix des deux candidats à la présidence de l’UMP ne se faisait pas sur le terrain
idéologique, il y a, entre les deux, une réelle différence de méthode entre celui qui veut cliver et celui qui veut rassembler le peuple. J’aurais donc préféré une large victoire de François
Fillon mais la question n’est plus là et à mesurer la rancœur de 151 parlementaires et anciens ministres UMP (sur 327) qui le soutiennent aujourd’hui et refusent absolument cette copéisation à
marche forcée de leur parti, une scission pourrait devenir inéluctable et peut-être même souhaitable. Selon certains journalistes, François Baroin chercherait à créer un nouveau groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale.
L’enjeu financier
Le 30 novembre est une échéance annuelle déterminante pour l’UMP. Chaque parlementaire doit en effet déclarer
chaque année à l’État le groupe parlementaire dans lequel il compte siéger pour l’année qui suit.
Ces déclarations sont très importantes puisqu’elles déterminent la part parlementaire de la dotation publique
aux partis, à raison de plus de 42 k€ par parlementaire et par an, ce qui fait un enjeu de quelques 6,3 millions d’euros pour 2013, ce qui n’est pas rien et qui serait déjà pas mal en cas de
création éventuelle d’un nouveau parti. L’UMP a déjà perdu près de 10 millions d’euros de dotation avec son échec et elle est actuellement très endettée.
La démission du responsable informatique de l'UMP ainsi que l'éviction de son responsable juridique avant le
vote du 18 novembre 2012 donnent quelques signes démontrant l'arrogante soif de Jean-François Copé de gagner cette élection au mépris de toutes les règles d'équité électorale.
Le naufrage durable ?
Si Pierre
Méhaignerie a jeté l’éponge
avec soulagement dès le lundi 20 novembre 2012 en démissionnant de l’UMP et en rejoignant naturellement sa famille d’origine, l’UDI (il était temps ! sa fille l’a même félicité), c’est bien plus difficile pour des anciens RPR tels que François Fillon, François Baroin, Valérie Pécresse etc. qui
ne se reconnaissent pas dans le courant centriste historique. C’est pour cela qu’une scission deviendrait inéluctable si de nouvelles élections internes n’étaient pas décidées pour régler
définitivement le problème du leadership de l’UMP.
Cela dit, selon son président Jean-Louis Borloo, qui a déjà réuni mille maires à Issy-lès-Moulineaux à l’occasion du congrès des maires de France et qui a rencontré quatre cents nouveaux adhérents le 24 novembre
2012 à la Mutualité, l’UDI aurait enregistré plus de six mille adhésions pendant la semaine dernière, selon Jean-Christophe Lagarde.
La copéisation de l’UMP, qui souhaite renforcer la combativité "à droite" de l’opposition au service d’une
seule ambition, va d’ailleurs probablement conduire à installer pour une longue période le parti socialiste
au pouvoir.
À moins que…
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (25 novembre 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François
Fillon.
Jean-François Copé.
La désarkozysation de l’UMP.
Fillon vs
Copé.
Nicolas
Sarkozy.
Jacques Chirac.
Un sérieux rival pour l’UMP ?
Le débat
télévisé entre Copé et Fillon (25 octobre 2012).
Un pouvoir socialiste aux abois.
Choc de rivalité entre Copé et Fillon.
La tragicomédie de l’UMP (18 novembre 2012).
Copé déclaré vainqueur le 19 novembre
2012.
Copé proclamé président (19 novembre 2012).
Des adhésions en hausse pour l’UDI.
Morale molle et ambitions dures.
La limace et la
hyène.
L’élu du 6
mai 2012 sera-t-il l’otage des extrêmes ?
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-copeisation-de-l-ump-est-elle-126468