Le 08 novembre j’ai été voir Godspeed You ! Black Emperor, groupe de post-rock canadien, au SO36, Oranienstraße 190, Berlin. C’était la 4ème fois que j’allais les voir en live. Je me rappelle encore clairement des 3 fois précédentes : la première, à Lyon, fût magique et pleine de grâce, la deuxième, à Stuttgart, fût dure, agressive et brute, la troisième, à Nancy, fût sympa mais décevante et molle. Aussi je ne savais pas trop à quoi m’attendre ce soir-là.
Le concert débuta par un
long drone, autrement dit une grosse plage de nappes sonores
ambiantes, parfois bruitistes. Les images suivirent, car chaque
performance de GYBE s’accompagne de projections de films
analogiques, le plus souvent en noir et blanc. De grosses textures
granuleuses noires/grises ouvrirent le bal. Ça dura une éternité
sans être trop compliqué à supporter, mais quand même ça dura.
Après bien 10/15 minutes ainsi, le groupe entama le premier morceau
de leur nouvel album "Allelujah! Don't Bend! Ascend!"
(http://www.youtube.com/watch?v=IEsdiiYkhT8).
C’était bien, mais ne provoqua pas grand-chose en moi et le tout
se conclut par un riff oriental beau mais pas très surprenant pour
ce style musical. Bref, timide mais sympa. Suivit un morceau issu
d’un album plus ancien. Il fût exécuté à merveille et la salle
commença à se tinter d’une atmosphère printanière,
réconfortante et très touchante. Je sentais le tout m’envelopper,
les images et le son. Un
"hope", comme gravé dans du carton noir, assura la
transition entre la première séquence d’images abstraites et la
nouvelle plus bucolique avec des champs en fleurs, des bois, etc. Cet
espoir que l’on retrouve toujours à un moment donné pendant un
live de GYBE, laissa alors place à un morceau massif, cyclique et
sombre. Le printemps, l’été laissèrent la place à la fin de
l’automne puis à l’hiver, époque de l’année où l’on se
tapit sous terre, engourdi, assommé à l’affût
des grondements terrestres. La masse sonore poisseuse se répétait
et devint ennuyante comme une vie souterraine, privée de couleurs,
de lumière. Un nouveau drone s’installa et bourdonna, figeant les
choses, puis après plusieurs minutes de cette configuration sonore
assommante, la batterie vint battre de grands coups et le groupe
reprit sur une note très grave, comme si une suite de sentences
tombaient. L’espoir enterré, le temps fût à la tourmente, à
l’enfer sur terre, à un Sisyphe qui croulerait davantage encore
sous le poids de son rocher. Ça calme et surprend car GYBE ne nous
avaient pas vraiment habitué à ce genre de couleurs sonores, pas
autant du moins. Les rythmes très posés, nets, suivirent une
cadence moyennement élevée. La mise en place fût assez rapide,
efficace, la tension maintenue durant un bon moment, mais bizarrement
le tout finit par se ratatiner sur soi-même, un peu comme si l’on
avait trouvé une force obscure pour se redresser et vivre mais que
ça ne devait pas nous transporter bien longtemps.
S’ensuivit à nouveau une plage de sonorités abstraites,
cette fois-ci plus brève que les précédentes et le thème d’avant
fût repris sans relâche. À la fin de celui-ci les instruments
rythmiques gardèrent le riff même si la batterie, ainsi que les
percussions breakaient pas mal, mais elles assurèrent la continuité,
la structure, tandis que les guitares, violons et violoncelles
partirent dans des directions opposées qui finirent par se rejoindre
pour mieux se fuir à nouveau. On se serait cru en plein mois de mars
à la merci des giboulées. La tête dépassait juste des nuages mais
le reste du corps restait à la merci des éléments déchaînés,
les pieds scellés au sol. Ça fichait le tournis et plutôt que de
vous envelopper, la musique climatique de GYBE s’imprimait
en vous, vous traversait, vous transperçait. Puis à nouveau une
accalmie, une brise qui sentait le soleil mais cette fois avec un
relent de mélancolie. Normal ce que l’on pensait être la
conclusion habituelle, à savoir une musique douce et rassurante,
presque une comptine, céda rapidement la place à un thème
dramatique, tel un été de plomb, cuisant, au parfum industriel. Le
tout démarra lentement puis à mesure que l’on s’enfonçait dans
ce dernier morceau le rythme s’accélérait et devint galopant. On
pouvait alors reconnaître un train qui s’emballe et qui finit sa
course dans un énorme fracas, ce point d’orgue passé, l’agonie
se fit entendre, la plainte du métal durant de longues minutes. 2h,
presque 2h30 s’écoulèrent et un large spectre de sentiments, de
ressentis m’avait habité comme rarement durant un concert. J’avais
l’impression d’avoir participé à une sorte de rétrospective
très dense des 12 dernières années. Je ne saurai dire si c’était
bien ou pas. Je crois que c’est impossible de résumer aussi
simplement ce qui s’est passé ce soir-là.
La seule chose que je peux affirmer, c’est que cela faisait
un moment que je n’avais plus vécu une telle expérience musicale,
un tel concert imbibé de sa propre époque. C’était mon concert
de Godspeed You ! Black Emperor et le votre sera certainement
différent.
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Infos :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Godspeed_You!_Black_Emperor
"Allelujah! Don't Bend! Ascend!" album complet à écouter en streaming : http://www.youtube.com/watch?v=IEsdiiYkhT8