Vous aussi, vous avez suivi distraitement l'affaire israélo-gazaouite qui s'est déroulée la semaine dernière : vous lisez égéa, et vous avez appris à vous méfier des charges émotionnelles débitées par les journalistes, au cris de "va-t-il y avoir la guerre ?". Mais du coup, vous cherchez tout de même à comprendre, maintenant que l'anecdote est conclue (avec quand même plusieurs dizaines de morts, ce qui fait cher l'anecdote).
1/ La première conclusion, c'est qu'il est de nos jours difficile de faire des sièges victorieux surtout quand :
- on était dans la place et qu'on l'a abandonnée parce que c’était trop dangereux
- une fois qu'on est dehors, qu'on sait qu'on peut rentrer comme on veut et que ça ne sert à rien, mais qu'on veut manifester une "opération militaire".
Bref, on assiège non pour prendre la place mais pour dire qu'on a toutes les capacités pour la prendre et retenez moi ou je fais un malheur. Même si on ne retient pas et que du malheur, il y en a eu.
2/ D'un autre côté, il est tout aussi difficile d'être assiégé surtout quand on n'a aucune intention de tenter une sortie parce que décidément, les assiégeants sont trop forts, mais que d'un autre côté il faut bien faire quelque chose.
3/ Autrement dit, en un mot comme en cent, il n'y avait aucune intention militaire dans les affrontements pourtant sanglants qui se sont déroulés cette semaine. Plus que jamais, la guerre était une sorte de continuation de la politique par d'autres moyens : ou plus exactement, la politique était toujours et surtout là, et on y a adjoint, temporairement et sans autre intention que de marquer politiquement une sorte de différence. La guerre n'était pas là pour résoudre ce que la politique n'arrivait pas à résoudre. La guerre n'était là que comme illustration, elle n'était pas ce duel, cette ordalie à laquelle on se remet pour décider. Cette guerre n'était pas décisive, ni pour l'un ni pour l'autre. Une guerre prétexte à d'autres choses. Autrement dit, vous ne pouvez tirer aucune conclusion de stratégie militaire de la séquence qui vient de se dérouler.
4/ Mais vous pouvez tirer des conclusions politiques. Puisqu'on parle surtout de politique, il faut donc aborder les choses clairement et dans l'ordre. D'abord l'ordre intérieur, puis l'ordre extérieur.
5/ L'ordre intérieur est double. D'abord côté israélien. Il semble bon, en campagne électorale, surtout quand on est dans une posture dure, de montrer qu'on est un chef de guerre. Surtout si on a passé trois ans à agonir de menaces l'Iran tout en sachant très bien qu'on ne peut pas faire grand chose, surtout avec un Obama qui vient d'être réélu et qui n'a plus rien à gagner. Je n'entrerai pas dans les micro-calculs de politique israélienne, je n'y connais rien. Je constate simplement deux choses :
- B. Netanyahou n'a jamais pris une décision d'entrée en opération quand il était au pouvoir
- il vient de perdre quelques points dans les sondages qu'il dominait outrageusement, preuve que le calcul n'était pas bon. A moins qu'il n'y ait un autre calcul, extérieur celui-là, nous y reviendrons.
6/ Côté Gaza, ensuite : au fond, la vraie question, pour le Hamas, consiste à montrer à ses groupes extrémistes qui veulent le déborder dans le radicalisme anti-israélien, qu'il est toujours en situation d'opposant. Du coup, malgré les roquettes tirées de-ci de-là, une petite opération est très favorable puisqu'elle re-légitime la position "dure" du Hamas, que celle-ci soit effective ou non.
7/ Il faut ici ajouter une couche de complexité, et commencer à regarder à l'extérieur, c'est-à-dire en Palestine : car au fond, la réaffirmation du Hamas vise tout autant l’Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbas, qui règne sur la Cisjordanie. A la fois intérieur et extérieur, car le débat en cours consiste bien à constater la séparation entre les deux segments de la Palestine, l'un de 1,5 Mh à Gaza, sous contrôle du Hamas, l'autre de 2,5 MH en Cisjordanie, sous contrôle de l'AP. Pour le coup, la réaffirmation de l'intransigeance du Hamas sert non seulement vis-à-vis des radicaux de Gaza, mais aussi du reste des Palestiniens.
8/ Ce qui nous amène à la dimension extérieure, elle aussi double. Côté palestino-hamassien, tout d'abord. Pour le Hamas, l'opération est un nouveau succès qui vient conforter une série pour l'instant ininterrompue de réussites depuis quelques mois : Israël n'est donc pas entré dans Gaza, les Frères Musulmans sont au pouvoir en Égypte, le Qatar a apporté son soutien appuyé (le PM est venu en visite à Gaza), la Turquie aussi qui tient à affirmer sa légitimité sunnite. Du coup, les négociations ont eu lieu, qui marquent une reconnaissance de fait du Hamas par Israël, ce qui est la grande nouvelle géopolitique de cette affaire. Alors même que le Hamas ne reconnaît pas Israël. Bien joué.
9/ Du coup, l'observateur s'interroge : Israël aurait donc perdu, sans aucun gain ? Bizarre. C'est alors qu'il faut remettre les choses en perspective. Une première solution pourrait être que Tel-Aviv (la capitale israélienne, je le rappelle), cherche à détourner l'attention non seulement de la Syrie (cas du Golan) mais aussi de l'Iran. Possible, mais j'en doute.
10/ Du coup, cette politique du pire pose question : puisqu'il n'y a plus de processus de règlement du conflit, notamment sur la base d'une solution à deux États, Israël s'achemine lentement vers un État unitaire, binational. Ce qui va à l'encontre des intérêts israéliens, en première approche. D'où, il faut chercher autre chose. Cette chose est possible, avec un double objectif, qui explique les "pertes" acceptées par Netanyahou.
11/ La première se passera cette semaine, lorsque l'AP demandera, devant l'AG des Nations-Unies, d'être reconnue comme observateur, ce qui lui donnera un statut. L'objet consiste non pas à empêcher cette reconnaissance, inéluctable, mais à :
- peser sur les États européens encore hésitants sur leur vote (dont la France)
- délégitimer Mahmoud Hamas en renforçant son "opposition interne" qu'est le Hamas.
Autrement dit, à affaiblir autant qu'il est possible l'AP, alors même qu'elle a des capacités étatiques reconnues, grâce notamment à l'action de son premier ministre, Salam Fayyad.
12/ L'objectif de plus long terme est d'une simplicité "biblique", ce qui est logique pour des hébreux : il s'agit de séparer la bande de Gaza de la Cisjordanie, pour :
- favoriser un rattachement de Gaza avec l’Égypte (objectif rendu possible par la disparition de Moubarak et l'accession au pouvoir de M. Morsi). Gaza, ottomane puis sous mandat britannique, est sous direction égyptienne de 1948 à 1967. J'imagine déjà les propagandistes israéliens expliquer qu'il faut, effectivement, et pour Gaza, revenir à la solution des frontières d'avant 1967 !
- favoriser un rattachement indirecte de la Cisjordanie à la Jordanie, malgré toutes les réticences jordaniennes. Cela renverrait à l'annexion de la Cisjordanie par la Transjordanie, en 1947. Mais cette région a elle aussi été perdue en 1967, et là aussi, on reviendrait au frontières d'avant 1967.
- Il n'est pas jusqu'au Golan syrien, lui aussi occupé par Israël depuis 1967, qui ne pourrait faire l'objet d'un marchandage, surtout à la lumière des événements actuellement en cours à Damas.
Bref, il y a là une opportunité stratégique, crânement jouée par les Israéliens, qui voient le moyen de respecter, à leurs conditions, la résolution 242 de l'ONU qui appelle à un retour aux frontières de 1967. Bien évidemment, on omettrait, dans ce deal, la question de la colonisation et celle de Jérusalem. Mais c'est une autre histoire.
Tout ceci pour dire que la perte de la semaine dernière n'est, peut-être, qu'un investissement stratégique de la part d'Israël.
O. Kempf