Chungking express

Par Kinopitheque12

Wong Kar-Waï, 1994 (Hong Kong)

ELOGE DE LA LENTEUR

C’est le film qui a révélé Wong Kar-Waï au grand public. Chungking express, entièrement tourné dans un immeuble de Hong Kong est une fenêtre sur la grande ville en perpétuelle ébullition.

Dans un immeuble des plus peuplés du vieux Hong Kong, Chungking Mansions, véritable ruche d’appartements et de commerces, les individus se croisent, se frôlent. Leurs regards se trouvent parfois. Tourné en 1994, Chungking express raconte les histoires de deux flics : le n° 223 aux allures de jeune candide et le n °663, plus mûr et solitaire, qui pansent leurs blessures amoureuses. Tous deux, quittés par leurs compagnes respectives, tentent de retrouver l’amour. Les relations humaines, à la lumière des néons de la grande ville asiatique, clignotent, s’éteignent, s’allument.

Wong Kar-Waï, paradoxalement dans une unité de lieu, nous embarque dans une traversée énergique, et donc métonymique, de Hong Kong. Le tournage qui a duré un temps record (deux mois) s’est fait caméra au poing, nourri de la vitesse et des éclairages peu travaillés. Le spectateur tourbillonne entre mouvements électriques et urbains pour se poser lors des tête-à-tête entre les protagonistes ou face à eux seuls. Le quotidien de Hong Kong, vitrine du capitalisme asiatique où transitent le commerce (notamment celui de la drogue) et les hommes nous immerge. Les allées s’enchevêtrent, les magasins se touchent, les halles fourmillent. Chaque centimètre est occupé et pourtant la solitude amoureuse semble demeurer.

Objets du désir
Les objets du quotidien deviennent alors des repères pour les deux hommes. L’agent 223 s’attache aux boîtes d’ananas et à leur date de péremption dont il se figure qu’elles lui indiquent la fin proche de son amour avec May. Le second parle à une serpillière dont les gouttes évoquent des larmes, ou à une peluche passive. Tous deux transfèrent ainsi leur tristesse et se questionnent quant aux solutions qu’ils envisagent pour guérir leurs cœurs brisés. Un dédoublement sensible pour ces âmes esseulées.

Dans cette déconfiture, un lieu les rassure : un snack-bar du building. Un endroit habituel pour l’agent 223 qui y venait tous les soirs avec sa fiancée. Un point de rencontre où l’agent 663 fait la connaissance pudique de la nouvelle serveuse, la jolie Faye. Le snack, telle une clairière apaisante, au milieu de la jungle urbaine. Là, une langueur, une léthargie émanent. Si la douleur s’y anesthésie, c’est au risque, toutefois, d’engourdir le spectateur.

Seuls two
On se demande comment on peut véritablement tomber amoureux dans cette atmosphère préfabriquée à l’image de l’architecture de Hong Kong. Tout ne semble que façade masquant le vide, un décor créé de toutes pièces sans profondeur. Mais la chaleur parvient à faire son entrée par les visages éclairés et les regards ébahis des grands yeux en amande. Faye va même jusqu’à visiter l’appartement du policier lorsqu’il n’est pas là ; une intimité qui apporte une touche humaine au film froid comme un gratte-ciel de verre et d’acier.

Wong Kar-Waï se fait l’Apollinaire du cinéma asiatique et réussit à mettre de la poésie dans cet univers urbain, artificiel, enveloppé de musiques commerciales et percuté par les enseignes clignotantes. Le réalisateur maîtrise l’art des moments suspendus, captant les personnages immobiles au milieu de la foule de passants. Des instants de beauté, volés à l’anonymat de la mégalopole, qui évoquent une ville excentriquement romantique.

Tiphaine Gault pour Preview
en partenariat avec La Kinopithèque pour la 34e édition du Festival des 3 Continents