A quelques minutes du départ pour la troisième soirée de l’édition 2012 du BB Mix, voici un rapide survol des deux premiers soirs passés au sein du Carré Bellefeuille de Boulogne.
Jour 1 : 23 novembre
Décollage tout en douceur pour le festival, avec une ouverture réalisée par la duo Stefan Lakatos (percussions) et Dominique Ponty (piano), qui interprètent pour la première fois ensemble des compositions de Moondog. Les rythmiques hypnotiques aux signatures complexes, exécutées sur un trimba (instrument inventé par Moondog), offrent un écrin accueillant aux mélodies répétitives et tortueuses exécutées avec piquant et vivacité par la pianiste.
Le guitariste Pedro Soler et le violoncelliste parisien Gaspard Klaus prennent place à leur tour sur scène. Le duo oppose la guitare flamenca débordante d’énergie du père au violoncelle dingue du fils. Un dialogue riche et captivant, entrecoupés d’explications musicologiques aussi drôlement amenées qu’intéressantes. La où l’un se bat contre sa guitare, lui rentre dedans, la frappe, pour en tirer rythmiques, grappes de notes éclairs et des soubresauts sublimes, l’autre fait corps avec son instrument, fusionne avec lui, le berce dans une transe continuelle, lui faisant susurrer, cracher, hurler mélodies, harmonies et harmonique. Deux rapports à l’instrument opposés et complémentaire : d’un côté la violence amoureuse, de l’autre l’amour violent. On se souviendra notamment de la pièce solo de Gaspard, qui montre une bonne partie du génie du violoncelliste, qui fait sonner son instrument comme personne. tout à la fois bruyant et velouté, mélodique et atonal, mais d’une expressivité incroyable.
Spain conclut cette première soirée. La slow pop minimale et noire d’encre du quatuor pourra être jugée plutôt chiante de prime abord, comme tous leurs disques depuis le premier The Blue Moods Of Spain (1995), d’ailleurs. Mais la patience et l’attention, dont ne fait pas preuve une bonne partie du public, qui quitte progressivement la salle, permettent de rentrer peu à peu dans l’univers du groupe, dans cette temporalité particulière, lente et retenue, presque désertique, où l’économie mélodique n’a d’égal que la précision d’orfèvre et la construction sonore minutieuse. Lentement, la tension monte, le son s’épaissit, jusqu’à un final où les distos pointent le bout de leur nez, appuyées par les descentes de toms et une accélération bruitiste qui semble d’autant plus climatique qu’elle a tardé à venir. En tissant ses étoffes sonores dans le bas du spectre des BPM, Spain revisite une certaine forme de finesse inattendue et très plaisante.
Jour 2 : 24 novembre
Ce soir, on entre dans le vif du sujet : rock’n'roll. Début de soirée en trombe toutes distorsions dehors avec les Misfit’s Galleon. Ils ont ressortis les vestes en jeans à manches coupées des années 90, on mis leur t-shirt Smashing Pumkins. Les grattes fusent, la voix assoit des mélodies surprenante, presque soul par moment, la basse adopte un son superbe, inattendu et puissant, bien épaulé par la batterie.
Juste après ce premier set, on assiste par hasard à un échange assez incongru, qui met face à face deux gamins un tantinet arrogants qui demandent (enfin exigent) de parler à l’équipe de programmation. Coïncidence : les programmateurs sont juste là. Grief du duo : c’est inadmissible de jouer du rock dans une salle pareille, c’est nul, on n’a pas le droit de boire dans la salle de concert, il y a des sièges, c’est pas fait pour ça, c’est pourri. Diplomatiques, les programmateurs et un attaché de presse présents hésitent entre « c’est une expérience différente » et « si tu veux rocker, lève-toi et danse, personne ne t’en empêche » (ce que montrera avec force la suite des événements).
De retour dans la salle, The Rebel a pris possession de la scène en costume militaire, armé de grattes et de synthés, et d’une batteuse minimaliste. Aussi vocaliste que je suis danseuse étoile, The Rebel n’en livre pas moins une musique captivante, dérisoire et inattendue.
C’est ensuite Chan & The Gang qui prend possession des lieux. Dès les premiers instants, on reconnecte nos neurones. Le mec hystérique qui est là et qui partage la voix avec la brunette énergique, on l’ déjà vu. Il y des années sur une TV française. On est certain de reconnaître ce mélange improbable entre Prince et Jon Spencer. Après vérification, en effet : The Make Up étaient sur Nulle Part Ailleurs en 1997.
Chan & The Gang livre un show bouillant, où les voix s’entrecroisent, se chevauchent avec joie sur fond de garage retro rock minimal et énergique. On reste scotché par les performances scéniques des vocalistes, dont les véritables prêches endiablés sont servis à merveille par un groupe puissant. La bassiste, d’une précision et d’une vélocité dingue nous laissera sans voix. La salle, qui a commencé le concert bien calé dans le velours de ses fauteuils finit débout à répondre d’un puissant et collectif »Yeah!!! » à chacune des invective de Ian Svenonius (voix).
Le final grandiose de la soirée revient à Ty Segall, qui retourne purement et simplement la salle. Gros son post-grunge, teinté de garage et d’un poil de geekeries de guitarisites. On se laisse emporter par la puissance irrésistible des morceaux, la maîtrise du groupe et sa générosité incroyable. Les slams vont bon train, la salle est hystérique. On danse dans tous les sens, on pogote à fond. Qui a dit que le rock n’avait pas de place dans ces murs ??? La preuve en vidéo :
Stefan Lakatos et Dominique Ponty jouent Moodog
Pedro Soler et Gaspard Klaus
Spain
Misfit’s Galleon
The Rebel
Chan & The Gang
Ty Segall
Et ce soir ? Lumerians + BEAK> !!!!
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