Il paraît qu'interviewer Ariel Pink n'est pas souvent facile. Le garçon est champion pour déstabiliser les journalistes, voire être imbuvable, et sortir des réponses pas toujours en accord avec la question de départ. Je peux donc m'estimer heureuse, quand je l'ai rencontré dans les loges de TRIX à Anvers, il était plutôt gentil avec moi. Mais il était tellement énervé à propos d'une histoire de poursuite judiciaire qu'il n'a fait que parler de ça et a fini par me saper le moral.
INTERVIEW ARIEL PINK
Au début, je commence par des questions un peu banales, histoire de le mettre en jambe. Mais on sent qu'il n'est pas là. En essayant de parler de sa création aussi géniale que stupide avec R. Stevie Moore, Ku Klux Glam (qu'on avait pu voir à la Villette Sonique cet été), il ne dit pas grand chose. Si ce n'est ce que l'on savait déjà plus ou moins. "J'avais fait la promesse à R. Stevie Moore, il y a un moment déjà, que je ferai tout mon possible pour que personne n'oublie son nom. Parce que c'est le seul artiste qui a été aussi négligé alors que c'est un génie évident." Il aimerait avoir le même genre de carrière que ce vieux barbu, mais avoir plus de succès. Parce que le succès est nécessaire, parce que l'on vit dans un monde capitaliste. "Call me communist".
Il évoque aussi l'enregistrement douloureux de son avant dernier album, Before Today (2010), celui qui l'a enfin sorti de la sphère underground californienne où il évoluait depuis 1996. C'était la première fois qu'il travaillait en studio, avec un groupe, et aussi un producteur. Et les deux dernières parties ne se sont pas du tout entendues. Tellement qu'Ariel Pink a dû séparer le groupe à un moment. "Tout le monde autour de moi se comportait comme une petite amie jalouse". Alors, pour son nouveau disque (Mature Themes), il a décidé que ce serait seulement le Haunted Graffiti, sans producteur.
Et là, on en vient au vif du sujet. Ce qui lui brûlait la langue depuis cinq minutes et dont il voulait tant parler. Il lâche ça, comme une bombe : "J'ai tout fait pour que cela se passe mieux pour tout le monde, et maintenant on me traîne en justice". En août, on apprenait qu'Aaron Sperske, l'ancien batteur du Ariel Pink's Haunted Graffiti, attaquait le groupe en justice pour avoir été viré en mai. Il paraît qu'il n'était pas assez impliqué dans le projet. Aujourd'hui, il réclame 25% des royalties et un million de dollars de dédommagement. Mais Pink m'affirme qu'ils n'ont pas cet argent, qu'ils ne peuvent même pas se payer un avocat compétent. "J'ai l'impression qu'on ne pourra pas se défendre nous-mêmes, c'est le début de la fin. Je vais devoir séparer le groupe". Concrètement, un accord oral passé entre les différents membres du groupe à sa formation en 2008 a, selon l'ancien batteur, été bafoué. Ce qui veut dire qu'Ariel Pink's Haunted Graffiti est maintenant quelque chose comme hors-la-loi et qu'il ne peut plus exister.
Pour qui ne comprend pas grand chose à la loi (moi, par exemple, Ariel Pink aussi peut être), la situation semble juste complètement ridicule (on dirait bien "ubuesque", mais ça fait un peu prétentieux). "Je ne peux plus travailler avec mes musiciens. C'est très sûrement notre dernière tournée. Peut être que si on arrête de jouer ensemble, ça ira. Mais ils attaquent Ariel Pink's Haunted Graffiti. C'est mon projet que j'ai commencé il y a quinze ans. C'est aussi mon nom, donc je pourrais être attaqué chaque fois que j'utilise mon nom jusqu'à la fin de ma vie. Si je garde mon vrai nom, Ariel Rosenberg, et que je fais des albums solo, c'est juste la même chose qu'Ariel Pink's Haunted Graffiti. Ce serait juste essayer de couvrir la trace de l'argent. Je n'aurais même pas le droit d'exister !"
A trente-quatre ans, l'homme a l'impression de s'être fait voler la moitié de sa vie d'un coup, à cause de sa "générosité". Je lui répète que ce n'est pas possible, que ça n'a pas de sens. "Si, ça a du sens. Ça a du sens parce que les gens craignent. Je suis furieux, furieux d'avoir été une si bonne personne alors que les gens sont des connards et n'ont pas de coeur. Je ne dis pas que je ne fais confiance à personne. Au contraire : c'est ça mon problème. Mais j'en ai marre qu'on profite de moi. Je fais toutes ces choses par amour et voilà ce qui arrive". Il passe l'interview a dire qu'il déteste les gens. Et le ressort à chaque fois que l'occasion se présente le reste de la soirée : "People suck, people suck". "I hate people".
Il en profite pour me donner sa théorie sur l'évolution de l'homme avec l'âge. Le point le plus mature que l'on pourrait atteindre est l'âge de cinq ans. Notre personnalité est déjà dictée à trois ans. "Et tout le reste c'est de la merde. Les gens restent immatures avec cinq ans d'âge mental jusqu'à la fin de leur vie". Wow. A ce moment de l'interview, il commence à être vraiment énervé.
J'essaie de changer un peu de sujet, mais forcément, il en revient au procès. "J'aimerais les voir essayer de m'arrêter, non, vraiment, je veux les voir gagner. Parce qu'après, quoi ? Je n'ai pas peur de perdre de l'argent. Mais c'est à propos de mon nom. S'ils gagnent contre mon nom, est ce que je devrais changer de nom ? Et que deviendrait la musique ? On ne peut pas la tuer, elle. Si mon ancien batteur prend 25% de mon nom, je serais son esclave jusqu'à ce que je meure. Ce sera le premier cas de ce genre". Et là, il s'enflamme (un peu), et se dit que cette affaire pourrait accélérer la chute de l'empire capitaliste, à cause de lui.
Je lui sors que je ne le voyais pas comme quelqu'un d'aussi dramatique. Il dit que c'est sa situation qui l'est. Mais qu'il essaie de ne jamais parler de ça parce que ce n'est pas professionnel. Et qu'il n'apporte jamais ses problèmes sur scène. Deux heures plus tard, pendant le concert, il demandera quand même à la foule "Is anybody suing someone?" "J'ai plein de facettes. Mais je suis aussi un adulte et suis très reconnaissant pour tout ce que j'ai. Je suis heureux que les gens m'aiment et veulent que je joue. Désolé de rendre cette interview siiii déprimante." fait-il avec un petit sourire.
Ce que je retiens de cette histoire, et après avoir fait quelques petites recherches, c'est que le pauvre Ariel Pink va peut être/sûrement s'en sortir. Tout est un peu confus dans sa tête. Mais le label pourra peut être payer un avocat, ou la plainte sera abandonnée faute de preuves suffisantes contre le Haunted Graffiti. Parce qu'après tout, ceci n'a pas de sens. Mais l'affaire aura changé à jamais la façon de voir d'Ariel Pink, qui nous donne un dernier conseil : "Sois un connard, c'est le mieux que tu puisses faire".