Le mot d’ordre est « émotion ». C’est ce qui suinte du cinéma de Ken Loach. Qu’il penche vers la comédie sociale ou tout au contraire vers le genre dramatique, le cinéaste britannique met dans ses films tout son cœur. Il porte d’ailleurs un intérêt particulier pour son pays, mais aussi pour la jeunesse britannique. Est-elle pour lui un reflet de son propre passé ?
Quoiqu’il en soit Loach se plaît à filmer non pas les joies de la fleur de l’âge, mais au contraire son désarroi. Il y glisse une note optimiste, ou une once de pessimisme selon le genre cinématographique qu’il traite. Alors qu’on retrouvait un soupçon de gaieté dans son dernier film, La Part des Anges (voir notre article), ce Sweet Sixteen fait preuve, a contrario, d’un pessimisme rageant. Rageant parce qu’on aimerait tant que ces pauvres jeunes, complètement délaissés et abandonnés à eux-mêmes, parviennent à ne pas lâcher cette corde qui leur permettrait de s’en sortir. Hélas, avec une éducation parentale quasi absente, peu de chance pour ces ados de refranchir la ligne les séparant d’une vie normale. Les adultes sont mis à part. Les parents sont inexistants, ou bien eux aussi contaminés par les bassesses de la pauvreté. Les mômes s’enfoncent progressivement dans les sables mouvants et de la délinquance. Les bastons, les petits vols et les reventes de cigarettes deviennent au fil du temps un métier, une vocation. Jusqu’à ce que la drogue et la pègre les rattrape. Là, se resserre aussi sec l’étau qui va les conduire directement à un plus grand niveau de méfaits. Cela va alors remettre en question les liens qu’ils tissaient jusque-là avec leurs amis et même leur famille.
C’est là que se trouve le virage en épingle, qui va les mener de la petite délinquance de quartier, à des actes plus criminels et plus répréhensibles. Loach souligne vraiment ce passage brusque, celui de Liam, qui passe du profil de simple revendeur de clopes à celui de criminel. Le point de liaison et ici l’engagement aux côtés de la pègre de quartier, et découle en partie des relations qu’entretient Liam envers sa mère, toxicomane, et détenue en centre pénitentiaire. Liam veut qu’à sa sortie elle puisse se « ranger », et recommencer une nouvelle vie. Et c’est justement pour cela qu’il combattra le mal par le mal.
Loach garde une mise en scène soignée, propre, et simple
Ce qui pourrait être au final gênant, c’est l’utilisation abusive du langage banlieusard, particulièrement grossier et vulgaire. Ce n’est d’ailleurs pas la version française qui ira adoucir l’abondance excessive de jurons. En admettant que la jeunesse de quartier soit complètement dénuée de beau langage, nous pourrions toutefois émettre un doute sur l’emploi du mot « putain » à chaque début ou fin de phrase. Un peu abusif.
Quoiqu’il en soit, Loach garde une mise en scène soignée, propre, et simple. Mais ce qui est aussi notable, c’est la sincérité des propos tenus au travers de ce Sweet Sixteen. Il ne sur-teinte pas son film d’optimisme ni ne l’accable trop lourdement de pessimisme. Il reste droit, honnête avec ses personnages et son sujet et il se dégage ainsi une certaine véridicité. Loach met sa mise en scène au service du scénario écrit par le talentueux Paul Laverty, et n’ôte en rien le réalisme émanant sur le papier. Les comédiens également, pour la majorité des novices devant la caméra, servent également, en bien, le script. Pas de fausses notes dans leur interprétation. Sans exagérer leurs rôles, ils permettent néanmoins de donner du relief au récit. Un bel effort, qui rajoute au film une part de réalisme supplémentaire, une part de plaisir en plus.
En résumé, Sweet Sixteen, malgré un langage un poil irritant à la longue, reste un grand travail de mise en scène, et ne déroge pas à la règle des films de Loach. Le cinéaste, comme à son habitude, fait du cinéma social. C’est simple. C’est beau. C’est touchant. C’est à voir.
Terence B.
Sweet Sixteen – réalisé par Ken Loach – Avec Martin Compston , Michelle Coulter, Annmarie Fulton, William Ruane