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David, Stanley. Stanley, David. La première fois que l’on m’a présenté à Stanley Kubrick, ça aurait pu se passer comme ça. Cela s’est même certainement passé ainsi, mais de manière beaucoup plus… comment dire… suggérée. Je me suis retrouvé devant un écran de télé qui passait « Full Metal Jacket », et l’écran de télé m’a dit « David, Stanley », d’où ma supposition que de l’autre côté du poste, et donc de la Manche, dans son manoir anglais, ma tête apparaissait chez Stanley Kubrick, et son écran lui disait implicitement « Stanley, David ». Enchanté. Enchanté, je le fus de découvrir son film qui me fit l’effet d’une claque, comme tous les films estampillés Kubrick que j’ai découverts depuis, de l’humour ravageur et conscient de « Docteur Folamour » à la troublante inquiétude de « Eyes Wide Shut ».
Quand on aime le cinéma, on apprend puis l’on découvre avec nos propres yeux que Stanley Kubrick était l’un des plus grands, et que s’il n’a pas fait beaucoup de films, tous ont su marqué leur époque et le cinéma d’une empreinte puissante. Et puis un jour, j’ai appris que le film que je croyais être son premier, « Le baiser du tueur », était en réalité son second déjà. Qu’une poignée d’années avant, à peine, il avait réalisé un long-métrage qui s’intitulait « Fear and Desire », un film rare que Kubrick lui-même a passé sa carrière à dénigrer et à chercher à faire disparaître, tout honteux qu’il en était.
Mais quoi qu’en ait pensé Stan lui-même, la ressortie en version restaurée de ce premier film de Kubrick représentait un évènement incontournable, et je me suis donc engouffré dans le souvent triste Saint-Lazare Pasquier pour y découvrir en compagnie de une… deux… deux… deux… ah non, en voilà une troisième, trois spectatrices curieuses tout comme moi de poser les yeux sur cette rareté (oui je sais, quatre dans la salle pour un Kubrick, c’est maigre…). Eh bien devinez quoi ? Il avait raison, le bougre de Stan. Ils n’étaient pas terribles, ses premiers pas derrière la caméra. Il a envoyé quatre acteurs déguisés en soldat dans une forêt californienne en nous faisant croire que la guerre faisait rage dans cette forêt d’un pays non-identifié, cette guerre non identifiée qui n’est même pas réelle. C’est un voyage auquel il nous convie, une hypothèse qui tient plus de la réflexion malickienne, sans l’assurance de maître Terrence.
Nos soldats divaguent entre les arbres, les acteurs surjouent, et Kubrick semble peu sûr du ton qu’il veut donner, de l’atmosphère qu’il veut accrocher. Le fait que le film manque clairement de moyens n’arrange rien, le désir de créativité ayant peut-être été brimé par le potentiel budgétaire du long-métrage (qui n’est pas si long, à peine plus d’une heure). Alors c’est comme ça que tu avais commencé ta carrière, Stanley ? C’est cela, le film que tu voulais que le monde oublie ? Oui, bon, ça peut se comprendre. Mais le plaisir de découvrir un Kubrick sur grand écran aura été plus fort que ton désir de nous le cacher, finalement…