Fermer l’œil de la nuit – p.88 (extrait)
Deuxième opus, chez Allia, pour Pauline Klein, après Alice Kahn, paru en 2010.
Des phrases en forme de lampe de poche. Petites, perçantes, vives. Elles sondent le réel sans cesse, malheureusement le réel n'existe pas pour l'héroïne de Pauline Klein, ou bien c'est elle qui n'existe pas. A moins que ce ne soit les deux. Elle cherche pourtant, elle cherche à le faire exister ce réel, mais rien ne change à ses yeux, à moins qu'elle n'ait rien remarqué. Sa vie, elle est ailleurs. Son œil la traquechez ses voisins qu'elle fait vivre de son regard acéré, à moins que l'inexistence là aussi ne gagne. Pourtant ses voisins ont un certain luxe d'apparence. Lui l'artiste, prêt à toutes les performances, qui ne sépare pas la vie de l'art, lié à une écrivaine qui cherche sa littérature et la vie dans la littérature qui serait sa vie à elle, détachée des mots, imprégnée des mots.
Par hasard, l'anti-héroine qui les scrute se découvre un frère. Il est en prison. Ce frère va l'obliger à vivre, tout du moins à conter cette non-vie, à en garder traces, à parvenir à l'existence par la simple description de son for intérieur, principalement, barricadé jusqu'alors contre les événements, le changement.
Pauline Klein utilise d'une certaine façon un procédé cher à la science-fiction, qui consiste à déformer une réalité banale pour en faire un théâtre romancé de l'absurde. L'ennui, la vacuité, la séparation fatale des êtres et l'incertitude de chacun sur les fins dernières, elle les pousse, les malmène à plaisir. Le réel perd encore en épaisseur, devient un théâtre des ombres où, privilège et talent de l'auteure, ce sont les mots qui gagnent la partie. Ces mots qui cisèlent à petits coups des vies démembrées, des vies qui se cherchent, sans avoir la moindre idée réelle de qui ou de quoi elles sont en quête, mais exhalent une mélancolique trace qui s'efface à peine apparue.
Pauline Klein sait faire saigner les masques de l'art et ceux de la vie. Masques dont il ne sortira ni regret ni remord, mais un obscur et fatal sentiment de manque originel. L'absurde n'est même plus de mise, mais les simulacres continuent leur danse à petits pas poignants. Et si l'on a du mal par moments à adhérer à cette irréelle auto-dissection, un espèce de salut, de perception du réel au loin, vient heureusement sourdre dans les méandres singuliers de l'écriture.
Fermer l’œil de la nuit – Pauline Klein – Éditions Allia – Août 2012