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"Frankenweenie" : Tim Burton, la résurrection
"Adoptez la nouvelle création de Tim Burton" : sur les affiches françaises, l'invitation prête à confusion. C'est que Frankenweenie, le chien zombie ramené d'entre les morts par son jeune maître, Victor, et semant la panique dans sa petite ville de province, était déjà le héros d'un court-métrage de 1984, lorsque Burton travaillait encore - la mort dans l'âme - comme animateur pour les studios Disney. Interprété par Shelley Duvall et Daniel Stern, le premier Frankenweenie avait laissé sur sa faim le réalisateur débutant, convaincu que seules les marionnettes filmées pouvaient donner vie à son histoire.
La technique le passionne. Il s'y essaie d'abord avec Vincent en 1982. Racontant l'histoire d'un jeune garçon qui rêve de devenir Vincent Price - et entretient lui aussi des relations amicales avec un chien zombie -, le court-métrage est violemment rejeté : trop noir pour les enfants. Les studios refusent alors à Burton le budget nécessaire pour animer Frankenweenie, qu'il tourne en prises de vues réelles. Ce dernier achevé, les studios licencient Burton, et le film, prévu en préprogramme d'une ressortie de Pinocchio, est, comme Vincent, mis au placard et y reste dix ans : trop noir pour Pinocchio
En 2012, le Frankenweenie nouveau a tout de l'histoire ancienne, et une allure caractérisée de revanche. Revenus depuis L'Etrange Noël de Monsieur Jack (1993) à leur ancienne brebis galeuse, les studios offrent près de vingt ans plus tard à Burton les moyens refusés en 1984 : une équipe de trente-trois animateurs, deux cents marionnettes et autant de décors, deux ans de travail. Une belle folie, en somme.
Tout cela en valait-il la peine ? Indubitablement. La scène inaugurale, où Victor montre à ses parents le film qu'il vient de terminer (tourné avec des jouets et son chien adoré, Sparky), est à elle seule un trésor d'ingéniosité. Le visage de l'enfant, animé à l'aide d'un micromécanisme facial très complexe, a une variété et une subtilité d'expressions qui laissent pantois.
Plus surprenant encore : le chien, Sparky, dont on oublie immédiatement la silhouette stylisée de cartoon - même couturée, après résurrection, par les soins du jeune savant fou. Les mouvements de la queue et de la langue, élans d'enthousiasme et petits gestes d'affection, tout cela est d'un naturel confondant : plus naturel, semble-t-il, que le chien réel du premier Frankenweenie.
Burton l'a toujours présenté ainsi : Frankenweenie n'est pas seulement un hommage aux grands classiques d'horreur en noir et blanc, c'est une histoire autobiographique, inspirée d'un souvenir d'enfance. On comprend la continuité des deux projets d'animation de ses débuts : d'un côté Vincent rêvant de devenir Vincent Price, l'idole du jeune Burton, totem du cinéma d'épouvante. De l'autre, Victor oeuvrant à ressusciter son chien adoré. Le rêve d'avenir avec le premier deuil : dès 1982, la grande thérapie burtonienne était en marche.
Deux Burton se disputent Frankenweenie. L'adulte à la susceptibilité froissée y combine subtilités techniques, construction millimétrée et culture en clins d'oeil faites des mille (auto)références que partage son public. Puis vient l'enfant rêveur. Celui-là fait un film comme on se bâtit un empire avec un jeu de construction : les marionnettes s'animent avec une ardeur proche de la colère, surtout dans la dernière partie lorsque, Frankenweenie ressuscité, le film prend des allures de film catastrophe, grands angles, effets visuels spectaculaires, caméra furibonde, laissant paraître un Godzilla de quelques dizaines de centimètres parcourant la ville à pas de titan.
Entre l'adulte et l'enfant, Tim Burton n'a jamais su choisir. Lorsqu'il lui est arrivé d'essayer, il a fait ses plus mauvais films. Assumant la coexistence, il fait des films saturés de contradictions, dont la mélancolie stagnante a des naïvetés inattendues. C'est ce qu'il a de mieux à nous offrir, et Frankenweenie en fait partie.